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Figuiers sauvages de la Clape | Arbres de la soif et du silence

Carnet botanique

Arbre hôte, arbre sêma, gardien des seuils


Explorations et photographies
de AC et Ma Clape

Mon errance naturaliste, sensorielle, symbolique autour des figuiers sauvages du massif.
Arbre origine, résistant et solitaire, qui trouve sa place dans ce paysage aride, enraciné dans les failles de la roche, aux abords des chemins oubliés, près des ruines devenues silencieuses.

Introduction au carnet

Écrire sur les figuiers sauvages n'est pas seulement décrire un végétal. C'est décrire un réseau de dépendances, une histoire de co-évolution, un carrefour de vie.
Cette vision fait directement écho à la pensée d'Edgar Morin, qui nous rappelle que la complexité surgit là où l'unité produit ses émergences. C'est pourquoi la simplicité n'est pas un point de départ, mais une conquête sur cette résistance initiale.
Je le ressens profondément avec ce carnet sur les figuiers sauvages de la Clape, l'un des plus denses que j'aie entrepris.

Au coeur des figuiers de la Clape

Le terme figuier sauvage ne désigne pas n’importe quel figuier poussant à l'état naturel. Il s’applique spécifiquement au figuier mâle, le caprifiguier (Ficus carica L.), qui est fondamental pour la pollinisation de l'espèce.
Il est indissociable du blastophage psenes, la minuscule guêpe du figuier, dont le cycle de vie est intimement lié à celui de l’arbre et qui assure, en transportant le pollen, la fécondation des figuiers femelles.

Ce carnet se veut moins un inventaire qu'une quête des caprifiguiers du massif, en croisant observations naturalistes et sensorielles, fragments d’histoire et dimensions symboliques et spirituelles.


Pour explorer cette complexité, notre parcours suivra quatre grandes parties.

Portrait du Figuier Sauvage

Qu’il surgisse au sommet pierreux d’un éboulis, qu’il s’abrite dans le repli d’une combe, qu’il veille à l’entrée d’une grotte ou qu’il s’appuie contre un vieux mur, le caprifiguier s’inscrit avec une tranquille discrétion dans le paysage. Sa présence, à peine remarquée, invite pourtant à une double exploration: celle des sens, dans l’errance attentive des odeurs, des formes et des textures, et celle de la connaissance, dans le regard patient du naturaliste. Ensemble, ces approches révèlent la richesse insoupçonnée d’un être en apparence modeste, mais dont la complexité et la valeur écologique nourrissent silencieusement l’équilibre du vivant.

Le Caprifiguier du domaine

2022 Avril

2025 Juin

2025 Novembre

2025 Décembre

Il ne restera que les Mamme

Avant même de partir à la recherche de l’arbre dans le paysage, il convient d’abord de s’arrêter sur les mots qui le nomment. Du caprificus latin à l’erineos grec, son appellation porte déjà en elle la complexité de son histoire et la manière dont les civilisations antiques l’ont perçu.


Aux origines des noms

Le caprifiguier, un arbre portant des figues (sycones) que l'on ne mange pas. Un arbre en apparence "inutile" pour l'homme, mais essentiel à la vie. Que nous apprend son étymologie?


La dualité latine

Le terme même de caprifiguier dépasse largement le simple cadre d’une désignation botanique.
Issu du latin caprificus, fréquemment cité dans les textes anciens de Pline l'Ancien, Varron et d'autres, il résulte de la fusion de deux racines: caper (au génitif capri), qui signifie le bouc ou la chèvre, et ficus, mot ambivalent désignant à la fois le figuier et son fruit.
Cette appellation remonte à l'Antiquité romaine, avec sa première exposition scientifique détaillée dans l'œuvre de Pline l'Ancien au Ier siècle de notre ère. Cependant, son histoire conceptuelle est plus ancienne, enracinée dans le terme grec erienos et les observations botaniques pionnières de Théophraste, philosophe grec, au IVe siècle avant notre ère.


1er sens littéral: L'identification de l'arbre
1

Sens littéral: Figuier du bouc
La traduction la plus directe

Littéralement traduit par figuier du bouc/chêvre, capri désigne l'identifiant, il qualifie le type de figuier, celui qui est associé aux boucs.
L'explication de ce nom viendrait de l'étymologie populaire qui lui aurait été attribué car ses fruits, jugés impropres à la consommation humaine, étaient autrefois considérés comme n'étant appréciés que par les chèvres (caprins).


Associer une plante à un animal, que ce soit parce que celui-ci s’en nourrit ou en raison d’une ressemblance physique, est une pratique courante dans l’Antiquité. (La langue de chien, l'herbe de l'hirondelle, l'aconit tue-loup, le rosier des chiens).
2ème sens fonctionnel: La description du rôle
2

Sens double:
L'arbre et sa fonction

Un autre sens complémentaire repose sur le verbe latin ficare, qui signifie "faire" se rapportant à ce qui produit ou engendre une action.

Du nom caprificus, qui désigne le figuier sauvage, est dérivé le verbe caprificare, qui signifie: pratiquer la caprification, une technique agricole pour assurer la pollinisation des figuiers femelles.

À l’époque romaine, ce verbe pouvait s’interpréter comme: produire à l’aide de l’arbre du bouc. Cette expression reflète à la fois son origine étymologique, le figuier sauvage, l’arbre du bouc et sa fonction, favoriser la pollinisation.


Deux mots, deux mondes dans la Grèce Antique

ἐρινεός (erineós), le Sauvage

Au terme latin caprificus se rapporte l'équivalent direct de l’ἐρινεός (erienos figuier sauvage), utilisé par Theophraste, attesté dans la littérature grecque depuis Homère (VIIIe siècle av. JC). L'étymologie du mot ἐρινεός est incertaine. Il n'existe aucune attestation écrite du terme durant la période mycénienne. L'écriture de cette époque, le Linéaire B (utilisé entre 1450 et 1200 av. J-C environ Bronze récent), la plus ancienne forme de grec connue, dont les traces sont assez limitées, mentionne dans trois tablettes trouvées à Knossos, des plantations de figuiers (terme su-za donc domestiques).
On suppose cependant une grande ancienneté (substrat pré-grec). La véritable histoire du mot ἐρινεός est donc probablement celle d'une assimilation culturelle. Un terme technique pré-hellénique, désignant le figuier sauvage, a été emprunté par les Grecs. Il témoigne à la fois du monde pré-hellénique et de l'imaginaire grec qui l'a absorbé comme nous le verrons dans l'Odyssée où son usage révèle une dimension symbolique qui enrichit notre compréhension du mot et de sa perception.

συκῆ (sykê), le Cultivé

Contrairement au figuier sauvage, avec lequel il ne partage aucune racine linguistique, le figuier cultivé se nomme en grec sukê (συκῆ). Ce terme est une dérivation de sukon (σῦκον), le nom de la figue elle-même. C'est d'ailleurs de sukon qu'est issu le mot sycone, utilisé en botanique pour décrire l'inflorescence si particulière des Ficus. Les Grecs, connaissant déjà la figue (sukon), ont utilisé ce mot pour nommer un arbre qu'ils découvraient au Proche-Orient (le shikmah sémitique), en le combinant avec "mûre" (moron) pour créer sykomoros, le figuier-sycomore (Nehet arbre sacré des Egyptiens).

Miroir d'une pensée

Profondément inscrite dans la pensée antique, la dualité entre le sauvage et le cultivé, ou le naturel et l'agricole, apparaît comme une structure fondamentale et symbiotique. En conclusion, deux conceptions de l'arbre se dessinent: d'une part, l'entité sauvage et autonome; d'autre part, l'arbre domestiqué, dont la valeur réside dans sa production de fruits. Cette opposition fondamentale entre le sauvage et le cultivé se retrouvera plus tard dans les mythes et les représentations symboliques.

Reconnaitre le Caprifiguier

Une fois ces distinctions sémantiques établies, revenons à l'arbre lui-même. Passons du mot à la matière, et voyons comment nos sens peuvent nous apprendre à reconnaître le caprifiguier dans le massif de la Clape.


Bois et cicatrices du caprifiguier

De manière générale, le bois du Ficus carica se caractérise par une densité faible: spongieux et fragile, il offre une résistance mécanique réduite, le rendant particulièrement vulnérable aux contraintes exercées par des vents violents. Les branches, nombreuses et largement étalées, présentent la même fragilité et cèdent aisément sous pression. En revanche, le système racinaire du figuier se distingue par sa vigueur et sa remarquable capacité d’ancrage, lui assurant une stabilité durable. Enfin, la chute des feuilles laisse sur l’écorce des cicatrices nettes et régulières, véritables marqueurs anatomiques du rythme saisonnier de croissance de l’arbre.

La cicatrice foliaire

Une fois l'automne venu, la chute de ses larges feuilles n'est pas un effacement mais une inscription. À l’endroit de l’attache du pétiole, l’arbre forme une cicatrice foliaire bien définie, souvent en forme de croissant ou de demi-lune. Ces marques, loin d’être de simples traces, constituent les témoins anatomiques de la croissance saisonnière passée.
L’accumulation des cicatrices foliaires d’une saison à l’autre confère au rameau un aspect annelé caractéristique, dont le relief contraste nettement avec la surface lisse des jeunes pousses de l’année.
En observant de plus près une cicatrice foliaire, on distingue de petits points disposés en motifs réguliers: ce sont les traces des faisceaux vasculaires (ou faisceaux libéro-ligneux), qui assuraient le transport de la sève brute et de la sève élaborée entre la tige et la feuille. Ces points constituent la signature anatomique de la connexion vitale interrompue lors de la chute du pétiole.

Le bourgeon et les lenticelles

A côté de la cicatrice, on aperçoit un petit bourgeon axillaire de couleur vert clair. Ce bourgeon dormant est la promesse d'une nouvelle pousse pour la saison à venir.
L'écorce du rameau, d'un brun clair et lisse, est parsemée de nombreux petits points en relief plus sombres. Ce sont des lenticelles, des pores qui permettent à la branche de "respirer" en assurant les échanges gazeux avec l'atmosphère. Leur formation débute généralement dans des zones de fragilité de l’épiderme ou dans des régions à forte activité métabolique. Elles apparaissent fréquemment en arcs, à la base de l’insertion foliaire.

Bois de l'année, bois de l'année passée

Emergeant sur le bois de l'année passée, le bois de l’année est lisse et vert se couvrant de taches brunâtres au fur et à mesure que la saison avance (lignification), tandis que celui de l’année passée, brun, garde les traces des anciennes feuilles (cicatrices foliaires), un indice permettant d’identifier à quelle fructification du caprifiguier il correspond.

Bois de l'année passée (brun, cicatrices foliaire) sur lequel pousse les Profichi
Bois de l'année passée (brun, cicatrices foliaire) sur lequel pousse les Profichi à l'extrémité des rameaux
Bois de l’année, lisse, vert marqué de taches brunâtres, portant les Mammoni
Bois de l’année, lisse, vert marqué de taches brunâtres, portant les Mammoni à la base des feuilles

Observer ces rameaux, c'est donc déchiffrer une véritable carte de la vie de l'arbre, où chaque marque raconte une saison passée et annonce celle à venir.

Cicatrice foliaire & lenticelles
Cicatrice foliaire & lenticelles

Bien que riches en informations sur la vie de l'arbre, le bois et les cicatrices ne permettent cependant pas de différencier un caprifiguier d'un figuier femelle. Pour cela, il faut se tourner vers d'autres indices.

La feuille

Lumières: La vue, un monde de formes

Cette feuille de caprifiguier est de grande dimension, épaisse et rigide, d’un vert vif tirant sur le vert foncé. Elle présente une forme palmée profondément lobée, typique de l’espèce Ficus carica. Sur ce caprifiguier, cinq lobes principaux sont nettement visibles, les deux inférieurs étant légèrement moins développés. Le bord foliaire est finement dentelé ou crénelé. La nervure médiane, ainsi que les nervures principales irradiant vers chaque lobe, sont d’un jaune-vert plus clair, contrastant nettement avec le limbe.

La caractéristique la plus frappante du figuier est la grande diversité de la forme de ses feuilles, un phénomène appelé polymorphisme foliaire (hétérophyllie). Les feuilles de Ficus carica sont typiquement palmatilobées, mais le nombre de lobes peut varier de trois à sept, et parfois même jusqu'à dix dans certains cultivars. Il n'est pas rare non plus de trouver des feuilles simples, entièrement dépourvues de lobes, sur le même arbre que des feuilles profondément découpées. La forme de ces lobes, ainsi que la profondeur des sinus (découpes entre les lobes), sont également très variables. Cette variabilité résulte de l’interaction de plusieurs facteurs: l’héritage génétique, le stade de développement, ainsi que les conditions environnementales, ce qui favorise une plasticité phénotypique jouant un rôle clé dans l’adaptation de l’espèce.

La forme des feuilles et son analyse foliaire ne sont pas des éléments différentiateurs Caprifiguier/figuier femelle.


Textures: Le toucher

Les deux faces de la feuille du figuier sauvage ont une structure différente.


La feuille: l'avers

L'avers, d’un vert profond et rugueux au toucher, accroche la peau comme une râpe fine. Cette texture rugueuse de l'avers de la feuille est due à la présence de divers types de trichomes (poils) et à un phénomène de minéralisation.
À la loupe ou au microscope, on peut deviner les têtes des trichomes glandulaires ainsi que les trichomes non-glandulaires silicifiés.


La feuille: le revers

Sur la face inférieure, plus pâle, le contact est rendu duveteux en raison d’une forte densité de trichomes non glandulaires et non minéralisés. Ils sont flexibles pour former un tapis isolant qui limite la perte d'eau.

Les stomates (pores permettant les échanges gazeux) ne sont présents que sur cette face.
Dans les petites zones de tissu vert (les aréoles) qui sont délimitées par le fin réseau de nervures, on peut y observer de petits points blancs et brillants: ce sont des groupes de cellules microscopiques appelées lithocystes, densément concentrés, parfois plusieurs centaines sur un seul millimètre carré . À l’intérieur, on trouve un cristal de carbonate de calcium (CaCO₃). Ces structures ont principalement deux rôles, stocker des minéraux, comme le calcium, et protéger la plante contre certains prédateurs.

Face adaxiale d'une feuille de Caprifiguier Avers: Face adaxiale d'une feuille de Caprifiguier
Face abaxiale d'une feuille de Caprifiguier Revers: Face abaxiale d'une feuille de Caprifiguier

Caractéristique Avers
(Face Adaxiale)
Revers
(Face Abaxiale)
Fonction principale Photosynthèse, Protection solaire Échanges gazeux, Transpiration
Texture Rêche, rugueuse Duveteuse, veloutée
Couleur Vert foncé Vert clair
Stomates Absents Abondants
Défense minérale Silicification (imprégnation de silice) Cystolithes (cristaux de carbonate de calcium)
Trichomes (Poils) Densité moyenne, rigides, rugueux Très haute densité, souples, duveteux
Tissu sous-jacent Parenchyme palissadique (dense) Parenchyme lacuneux (aéré)

Le latex

Perles de latex
Perles de latex dans une Profichi en juillet

Sous pression, exsudation en abondance et coagulation du latex suite à des blessures

Le latex n’est pas la sève ; il est produit par des cellules spécialisées appelées laticifères, qui forment un réseau indépendant du xylème et du phloème.

Ce liquide blanc et visqueux, qui s’écoule à la moindre blessure de feuille ou de tige, joue un rôle de défense. Sa richesse en alcaloïdes, terpènes et protéines le rend toxique et dissuasif pour les herbivores et les agents pathogènes. Il contient notamment une enzyme protéolytique puissante, la ficine, qui peut dégrader les protéines des insectes et des nématodes, renforçant ainsi l'effet protecteur du latex.

Pour l’être humain, le contact de la peau avec ce latex peut provoquer une irritation. Dans certains cas, si la peau touchée est ensuite exposée au soleil, cela déclenche une réaction appelée phytophotodermatose. Ce n’est pas une allergie: la réaction ne vient pas du système immunitaire, mais d’une sensibilité accrue au soleil. En réalité, certaines molécules contenues dans le latex, surtout les furocoumarines, s’activent sous l’effet des rayons ultraviolets. Elles endommagent les cellules de la peau et peuvent causer des rougeurs, des brûlures ou même des cloques persistantes.

Le latex du Ficus carica est donc un système de défense dynamique et intégré, perfectionné au cours de l'évolution pour protéger la plante contre un large éventail de menaces biologiques.

Phase de Défense Composé / Mécanisme Explication du Rôle
Piégeage Physique et Immobilisation Latex collant Le latex s'écoule rapidement de la blessure, engluant et immobilisant les pièces buccales et les pattes de l'agresseur, l'empêchant de continuer son attaque.
Attaque Chimique Corrosive Ficine (enzyme protéolytique) Cette enzyme puissante attaque et dégrade les protéines de la cuticule de l'insecte, créant des lésions et affaiblissant sa structure externe.
Empoisonnement Systémique et Anti-nutritionnel Alcaloïdes et composés toxiques Si le latex est ingéré, ces composés agissent comme des poisons, perturbent le métabolisme, bloquent la digestion et rendent le tissu végétal indigeste.
Scellement et Barrière Antimicrobienne Polymérisation du latex Maintenu sous pression dans les canaux laticifères, le latex durcit et coagule immédiatement au contact de l’air. Il forme alors un sceau protecteur sur la blessure, empêchant l’intrusion d'insectes, de bactéries ou de champignons.

Flux et volume au fil des saisons

La production de latex n'est pas un processus statique. Elle est soumise à des fluctuations marquées tout au long de l'année, qui affectent à la fois la quantité de latex émise et sa composition chimique intrinsèque.
Cette pression varie considérablement au fil des saisons, en corrélation directe avec l'activité physiologique de l'arbre. Le flux atteint son maximum absolu au printemps, durant la période de la montée de sève. Durant l'été, période de croissance active et de forte transpiration, le flux de latex reste élevé, mais il peut être fortement modulé par la disponibilité en eau.

L'odeur du caprifiguier

On distingue trois types de signaux olfactifs pour le caprifiguier, le signal de fond qui représente l'identité olfactive de l'arbre et les signaux d'attraction et de répulsion dont nous parlerons dans le chapitre consacré à la co-évolution.

Odeur générale du caprifiguier (signal de fond)

Les composés, principalement des monoterpènes comme l'α-pinène et le limonène, ont des propriétés répulsives. Cette odeur est émise par les parties végétatives (feuilles, bois).

Composés clés

  • α-Pinène (odeur de pin)
  • Limonène (odeur d'agrumes)
  • Sabinène (boisé, épicé)

De manière empirique, l’odeur générale ou signal de fond, émanant des caprifiguiers et des figuiers femelles se distingue par une intensité particulière, facilement perceptible et reconnaissable à proximité de l’arbre. Cette odeur, à la fois verte et légèrement résineuse, constitue une empreinte olfactive marquée de l’espèce. Aucune différence olfactive n’a cependant été rapportée entre les figuiers femelles/parthénocarpiques et les caprifiguiers, ce qui suggère que l’odeur générale reflète une caractéristique propre à l’espèce plutôt qu’un marqueur sexuel. Cette odeur apparaît ainsi comme un signal homogène, perceptible de manière constante. Elle sert de repère.
Le cycle olfactif du caprifiguier évolue au rythme des saisons, tant par la nature de ses notes que par leur intensité. Au printemps, il se manifeste d’abord par une fragrance fraîche. À mesure que l’été s’installe, ces effluves s’alourdissent, deviennent boisés, puis plus secs à l’approche de l’automne, avant de s’ancrer dans des tonalités terreuses en hiver.

Durant la saison froide, l’émission odorante est minimale, sans commune mesure avec l’intensité printanière et estivale. Elle persiste essentiellement comme mécanisme de défense, ce qui explique pourquoi elle devient presque imperceptible.

Source de l'Odeur Description Olfactive
Identité olfactive générale (Feuilles & latex) Verte, amère et lactonique.
Déclinée en une pyramide olfactive complexe:
Note de Tête: Très verte, odeur de feuilles froissées.
Note de Cœur: Amère et lactonique (laiteuse, facette crémeuse et végétale).
Note de Fond: Boisée-lactonique (sillage persistant de latex et de bois amer).
Bruit de fond chimique: Ce n'est pas un signal pour la guêpe. Il reflète le métabolisme général de la plante et a probablement un rôle de défense contre les herbivores.

Cycle Olfactif des Feuilles

cliquer une saison après l'animation pour découvrir son profil.

Une année de fructification du Caprifiguier

Le caprifiguier, ou figuier sauvage, se distingue par sa capacité à produire trois générations successives de figues au cours de l’année. Ces générations, désignées par les noms Mamme, Profichi et Mammoni, nous viennent de l’agronomie italienne. Ces appellations traditionnelles, issues d’une longue observation empirique, permettent de nommer et de différencier les cycles de fructification propres à cette espèce. Elles reflètent à la fois la richesse biologique du figuier et l’attention minutieuse que lui portent depuis des siècles les cultivateurs du bassin méditerranéen.


Origine des noms

Mamme
(Récolte d'hiver)
Profichi
(Récolte de printemps)
Mammoni
(Récolte d'été/automne)
Terme Italien
documenté au XIXe siècle mais d'usage plus ancien
Mamme (pl.) / Mamma (s.) Profichi (pl.) / Profico (s.) Mammoni (pl.) / Mammone (s.)
Étymologie Italien mamma (sein, mère), du latin mamma . Aphérèse du latin caprificus Augmentatif de mamma
Signification Métaphorique Le "sein nourricier" qui abrite le blastophage pendant l'hiver. La figue qui assure la pollinisation (par caprification). L'importante récolte estivale qui sert de pont au cycle.
Racines antiques
Terme Grec
(Théophraste)
Théophraste emploie de façon plus générale le terme ὄλυνθος (olunthos), qui désigne une figue ne parvenant pas à maturité. Ce terme s’applique à la fois aux figues avortées du figuier cultivé et aux figues du caprifiguier, utiles à la caprification (⇄ Profichi).
L’équivalence ὄλυνθος ⇄ grossus est attestée par les lemmes lexicographiques.
Terme Grec
(attribution tardive)
κρατήρ (Kratêr)
La signification est liée à la notion de coupe, récipient, analogie avec la figue qui abrite les larves tout au long de l'hiver
ὄρνι (Orni)
Origine incertaine.
φορνάς (Phornas)
Signification liée à la notion de porter (porte la génération de blastophages pendant l'été)
Terme Latin
(Pline l'Ancien)
Il fait référence à un figuier trifère caprifici triferae servant à la caprification mais ne cite pas de noms pour les figues. "Dans l'île de Céos les figuiers sauvages portent trois fois: le premier produit appelle le suivant, et celui-ci le troisième; avec ce dernier se fait la caprification, Histoire Naturelle XVI,50".
XVIIIe siècle
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751) T2 Caprification
&
Tournefort Relation d'un voyage du Levant (1717)
cratitires orni fornites
Il faut remarquer que l'on cultive dans la plupart des îles de l'Archipel deux sortes de figuiers; le première espèce s'appelle Ornos du Grec litteral Erineos figuier sauvage, ou le Caprificus des latins; (…) Le sauvage porte trois sortes de fruits: Fornites, Cratitires, Orni (…) Relation d'un voyage du Levant, f°130
 
XIXe siècle
Giorgio Gallesio: il trattato del fico (1820) Giorgio Gallesio, botaniste et pomologue italien, distingue plusieurs types de Caprifiguier (unifère, bifère et trifère) et reprend les noms cratitires, orni et fornites pour les fructifications de ce dernier.
Il utilise aussi le terme fioroni (fico fiore) pour désigner les Profichi, en y ajoutant une équivalence avec le mot latin grossus. Or, ce dernier, appliqué aux figues du caprifiguier, élargit son champ d’usage, puisque ni Pline ni Columelle ne l’emploient en dehors du figuier bifère domestique. À la Renaissance, Beroaldi (dans les Opera Agricolalionum, XVe siècle) et Carlo Stefano (dans le Seminarium, XVIe siècle) avaient repris le terme grossus pour qualifier la première figue du figuier bifère ( Grossi sunt primitivae ficus, c’est-à-dire une figue qui ne mûrit pas), suivant l’usage antique latin plutôt que l’acception grecque.
Guglielmo Gasparrini: Ricerche sulla natura del caprifico, e del fico; e sulla caprificazione (1845) Guglielmo Gasparrini, botaniste, médecin et naturaliste italien, était reconnu de son vivant comme l’un des plus grands spécialistes du figuier et de son mode de pollinisation. Il décrivit en détail les trois récoltes du caprifiguier, retraçant l’origine de leurs appellations et soulignant la provenance napolitaine des termes Mamme, Profichi et Mammoni.
Gasparrini formula également l’hypothèse selon laquelle le caprifiguier et le figuier domestique appartiendraient à deux genres distincts.
… era meglio dividerli in due generi, che considerarli come spezie di un solo.
il valait mieux les diviser en deux genres, que de les considérer comme les espèces d'un seul. Parte Quatra, f°71
Caprificus gigantea Gasp.
Planche 1 Caprificus gigantea Gasp. Rameau cueilli au début de juillet avec toutes ses parties en grandeur nature: a - cratiro desséché, b - fioroni réguliers, c - fiorone prolifère

Anatomie des figues du Caprifiguier

Au-delà de leurs noms, ces trois générations de figues partagent une même anatomie interne, hautement spécialisée. Chaque figue, ou sycone, est une inflorescence creuse tapissée de centaines de petites fleurs. Le caprifiguier se distingue par le fait qu'il abrite deux types de fleurs: des fleurs femelles et des fleurs mâles. Les fleurs femelles sont majoritaires et possèdent un style court, Les fleurs mâles (staminées), quant à elles, sont stratégiquement situées en couronne autour de l'ostiole, l'ouverture de la figue. Elles n'arrivent à maturité que dans la génération de printemps, les Profichi. Dans les autres fructifications, ces fleurs mâles sont fonctionnellement immatures, rudimentaires et ne produisent que très peu ou pas de pollen viable. L'intérieur de ces figues, non comestibles, est donc une structure fonctionnelle dédiée à la reproduction de son pollinisateur.


Synthèse: Positionnement des figues sur les rameaux

Nom de la Figue Période d'Apparition Mois d'Apparition Apparaît sur Emplacement sur la branche
Mamme (Figues d'hiver) Automne Fin septembre, Octobre, Novembre Les rameaux de l'année (qui deviendront le bois de l'année précédente) Base des rameaux
Profichi (Figues de printemps) Printemps Mars, Avril Le bois de l'année précédente Extrémité des rameaux
Mammoni (Figues d'été) Été Juin, Juillet Le bois de l'année Aisselle des feuilles

Mamme | sur bois de l'année précédente et courante
Figue d'hiver

La nurserie pour la survie hivernale de la guêpe

Caprifiguier dans la Clape: Mamme en Mars
Caprifiguier dans la Clape: Mamme en Mars
Caprifiguier dans la Clape: Mamme fin Octobre
Caprifiguier dans la Clape: Mamme fin Octobre
Caprifiguier dans la Clape: Mamme Novembre Caprifiguier dans la Clape: Mamme Novembre Caprifiguier dans la Clape: Mamme Novembre Caprifiguier dans la Clape: Mamme Novembre Caprifiguier dans la Clape: Mamme Fin Novembre Caprifiguier dans la Clape: Mamme Fin Novembre
Caprifiguier dans la Clape: Mamme Novembre

Profichi | sur bois de l'année précédente
Figue de printemps

Celle qui porte le pollen

Profichi et Mamme en Avril
Profichi et Mamme en Avril
Les galles
Les galles et les styles
L'ostiole, les bractées, les fleurs mâles
L'ostiole, les bractées, les fleurs mâles
Les fleurs mâles & les fleurs femelles. Les galles sont vides après l'émergence des blastophages
Les zones fleurs mâles - fleurs femelles. Les galles sont vides après l'émergence des blastophages

La figue prolifère ou figue double (Profichi)

Une figue prolifère (en italien fiorone prolifero, selon la nomenclature de Gasparrini: voir planche 1, c – fiorone prolifero) constitue une anomalie morphogénétique rare observée principalement chez les profichi (constatée aussi chez les mammoni). Elle est parfois désignée sous le terme de « figue double ». Le phénomène se caractérise par l’apparition d’un second sycone qui se développe directement à partir du premier, généralement au niveau de l’ostiole.
Il s’agit d’un cas de tératologie végétale dont les mécanismes étiologiques demeurent imparfaitement élucidés. L’hypothèse actuelle privilégie une origine multifactorielle, combinant une prédisposition génétique et l’action de facteurs environnementaux ou hormonaux intervenant au cours d’un stade critique du développement floral et fruitier.


Mammoni | sur bois de l'année
Figue d'été

La nurserie pour la survie estivale de la guêpe

Mammoni Septembre
Rameau de Mammoni en Septembre. Les Mammoni sont placées à l'aisselle des feuilles. Présence d'une figue prolifère

Mammoni Septembre
Rameau de Mammoni en Septembre. l'absence de ponte du blastophage à l'intérieur provoque l'avortement de la figue (mécanisme de régulation naturel),

L'ostiole, les bractées, les zones fleurs mâles rudimentaires - fleurs femelles.
L'ostiole, les bractées, les zones fleurs mâles rudimentaires - fleurs femelles (Juillet)
Les zones fleurs mâles rudimentaires - fleurs femelles. Les galles et le latex
(Septembre) Les zones fleurs mâles rudimentaires - fleurs femelles. Les galles et une production de latex plus importante qu'en juillet


L’observation visuelle des figues, clé pour différencier le caprifiguier du figuier femelle.

L’identification du caprifiguier ne peut se faire qu’à travers l’analyse des figues.

En hiver

Un cycle de fructification unique

Contrairement au figuier domestique qui entre en repos végétatif, le caprifiguier assure une fructification hivernale en conservant ses figues (Mamme) jusqu'au printemps.


Principalement au printemps

Une anatomie florale spécifique: styles courts, fleurs mâles

Ses figues contiennent une majorité de fleurs femelles à style court, adaptées pour abriter les larves de la guêpe Blastophaga psenes. De plus, les figues de printemps (Profichi) sont les seules à contenir des fleurs mâles matures, chargées de pollen et situées près de l'ostiole.


En toutes saisons

Un contenu non comestible & la présence de galles et du Blastophage

À l'intérieur, les figues ne sont pas charnues mais plutôt sèches et fibreuses. Selon la saison, elles sont remplies de galles (ovaires transformés qui nourrissent les larves), de pollen, ou des différents stades de développement de la guêpe (œufs, larves, nymphes et adultes).

Après avoir exploré l'histoire de ses noms, son apparence et son cycle de production unique, il est maintenant essentiel de synthétiser ce qui fait la singularité biologique du caprifiguier. Car ce n'est ni une espèce distincte, ni une simple variété, mais l'une des deux expressions sexuelles d'une même espèce, Ficus carica.

Le système de reproduction du figuier est d'ailleurs un cas d'école de la complexité botanique. Bien qu'il fonctionne dans les faits comme un système dioïque, avec des arbres mâles (caprifiguiers) et des arbres femelles, il est plus précisément qualifié de gynodioïque. Ce terme décrit un système où coexistent deux types d'individus: des plants purement femelles et des plants hermaphrodites. Dans le cas du figuier, le caprifiguier est en réalité un hermaphrodite: ses figues (sycones) contiennent à la fois des fleurs mâles productrices de pollen et des fleurs femelles à style court, qui servent de nurserie à la guêpe. Cependant, comme ses fleurs femelles sont systématiquement occupées par les larves, elles ne produisent jamais de graines, rendant l'arbre fonctionnellement mâle. Cette stratégie évolutive subtile est la clé de voûte de la symbiose, qui sera détaillée plus loin.


Synthèse: Le Caprifiguier, une identité à part

Le tableau suivant détaille point par point les différences fondamentales qui l'opposent aux différents types de figuier commun (femelle et parthénocarpique). Comprendre ces distinctions génétiques, morphologiques et fonctionnelles, n'est pas un simple exercice de botanique. C'est la clé indispensable pour saisir la logique profonde de la symbiose avec la guêpe Blastophaga psenes et le rôle irremplaçable que joue cet "arbre inutile" dans la survie de son espèce.

Il existe 4 types de figuiers: le type Caprifiguier, le type commun, le type Smyrne et le type San Pedro.

Caractéristique Caprifiguier Type Smyrne Type San Pedro Type Commun
(Parthénocarpique)
Nom commun Caprifiguier, Figuier sauvage Figuier de Smyrne (ex: 'Calimyrna', 'Zidi') Figuier de San Pedro (ex: 'Desert King', 'Lampeira') Figuier commun, Figuier autofertile (ex: 'Ronde de Bordeaux', 'Brown Turkey', 'Marseillaise')
Présence de Fleurs Mâles (Staminées) Oui Non Non Non
Localisation Fleurs Mâles Près de l'ostiole (ouverture) des sycônes de printemps (Profichi) et d'été (Mammoni). Ces dernières sont immatures. N/A N/A N/A
Présence de Fleurs Femelles à Style Court Oui (majoritaires) Non Non Non
Fonction Fleurs Style Court Abriter les larves de la guêpe du figuier (Blastophaga psenes) et permettre son cycle de vie. L'ovaire devient une galle. N/A N/A N/A
Présence de Fleurs Femelles à Style Long Non Oui (exclusivement) Oui (exclusivement) Oui (exclusivement)
Fonction Fleurs Style Long N/A Produire des graines et des fruits comestibles APRÈS pollinisation. Produire des graines et des fruits comestibles. Produire des fruits comestibles SANS pollinisation nécessaire.
Ovaire (devenir / fonction principale) Celui des fleurs à style court devient une galle (nourrit la larve de guêpe). Se développe en graine fertile et participe à la formation du fruit charnu APRÈS fécondation. Figues-fleurs (brebas): se développe en fruit parthénocarpiquement (graine stérile/rudimentaire).
Figues d'automne: se développe en graine fertile APRÈS fécondation.
Se développe en fruit parthénocarpiquement. Son développement est partiel et n'est stimulé que par les signaux hormonaux internes de la plante qui provoquent la maturation du sycone. Il s'agit en fait d'un ovule non fécondé et avorté (stérile). En l'absence des signaux puissants de la fécondation, son péricarpe ne se développe que partiellement. Il est généralement plus fin, moins lignifié, et souvent creux (rudimentaire).
Besoin de Pollinisation (Caprification) il EST le pollinisateur Oui, indispensable pour toutes les récoltes. Oui, pour la 2ème récolte (figues d'automne). La 1ère (figues-fleurs/brebas) est parthénocarpique. Non, pas nécessaire. Le caractère parthénocarpique n'empêche cependant pas une pollinisation. Dans ce cas, la structure et la saveur de la figue est modifiée. La fécondation a lieu, entrainant le développement d'une graine viable et biologiquement fertile.
Rôle de la Guêpe du Figuier (Blastophaga psenes) Essentiel. La guêpe se reproduit dans ses figues et transporte le pollen. Essentiel. La guêpe apporte le pollen du caprifiguier. Essentiel pour la 2ème récolte. Non nécessaire pour la 1ère. Non nécessaire. La guêpe peut visiter mais n'est pas requise pour la fructification.
Présence et Forme de l'Insecte (Blastophaga psenes) dans la figue Cycle de vie complet: Œufs, larves, nymphes (pupes), et adultes (mâles et femelles) présents dans les sycônes (Mamme, Profichi, mammoni) selon la saison. Les femelles adultes sortent des Profichi chargées de pollen. Femelle adulte entre pour polliniser et tenter de pondre. Elle meurt généralement à l'intérieur. Les larves ne se développent pas ou peu (fleurs à style long). Figues-fleurs (1ère récolte): Pas d'interaction nécessaire.
Figues d'automne (2ème récolte): Si caprification, femelle adulte entre, pollinise, tente de pondre et meurt.
Généralement absent ou entrée accidentelle d'une femelle sans conséquence pour la fructification. L'insecte n'est pas nécessaire.
Figues Comestibles Non (généralement sèches, fibreuses, ou remplies de guêpes/pollen) Oui (sucrées et riches après pollinisation). La pollinisation ne modifie pas l'arôme (concentration), mais la quantitè d'arôme (poids et taille des fruits) Oui. Les figues-fleurs (brebas) sont comestibles sans pollinisation. Les figues d'automne le sont après pollinisation. La pollinisation ne modifie pas l'arôme (concentration), mais la quantitè d'arôme (par le poids et taille des fruits) Oui (sucrées et juteuses)
Développement du fruit sans pollinisation (Parthénocarpie) Non applicable directement, mais ses figues de printemps (Profichi) se développent pour libérer le pollen. Non (les figues tombent si non pollinisées) Oui, pour les figues-fleurs (brebas) uniquement. Oui, pour toutes les récoltes.
Nombre de récoltes typiques par an (climats favorables) Produit 3 types de sycônes sur l'année (Mamme, profichi, Mammoni) servant au cycle de la guêpe. 1 à 2 récoltes si pollinisées. 2 récoltes: 1ère parthénocarpique (brebas), 2ème nécessitant pollinisation. 1 (unifères) ou 2 (bifères) récoltes parthénocarpiques.
Saisonnalité de la production (typique) Mamme (hiver, abritent la guêpe), Profichi (printemps, libèrent le pollen), Mammoni (été, cycle de la guêpe). Cycle étalé sur l'année. Figues d'été et/ou d'automne, selon la variété et si pollinisation réussie. Figues-fleurs (Brebas): début été (ex: juillet). Figues d'automne: fin été/automne (ex: septembre-octobre), si pollinisées. Unifères: fin été/automne (ex: août-octobre).
Bifères: Figues-fleurs début été (ex: juillet) ET figues d'automne (ex: septembre-octobre).
Identification Visuelle du Bois (N=année en cours
N-1=année précédente)
Bois N (pousse de l'année): Écorce plus claire (verdâtre/brun clair), lisse, plus fine. Porte feuilles (en saison) et sycônes mammoni (été).
Bois N-1 (rameau de l'année précédente): Écorce +foncée (grisâtre/brun), +épaisse, lignifiée. Cicatrices foliaires de l'an passé. Porte sycônes Mamme (hivernation) puis profichi (printemps).
Bois N: Écorce plus claire, lisse. Porte feuilles et figues d'automne (si pollinisées).
Bois N-1: Écorce plus foncée, lignifiée. Peut porter figues-fleurs (si variété bifère) visibles comme bourgeons en hiver/printemps.
Bois N: Écorce plus claire, lisse. Porte feuilles et figues d'automne (nécessitent pollinisation).
Bois N-1: Écorce plus foncée, lignifiée. Porte figues-fleurs (brebas) visibles comme bourgeons en hiver/printemps.
Bois N: Écorce plus claire, lisse. Porte feuilles et figues d'automne.
Bois N-1: Écorce plus foncée, lignifiée. Porte figues-fleurs (si variété bifère) visibles comme bourgeons en hiver/printemps.
Disposition des figues sur le bois (N=année en cours,
N-1=année précédente)
Mamme: N-1 (hivernation). Profichi: N-1 (printemps). Mammoni: N (été). Figues-fleurs (si bifère): N-1. Figues d'automne: N. Figues-fleurs (Brebas): N-1. Figues d'automne: N. Unifères: Figues d'automne sur N.
Bifères: Figues-fleurs sur N-1 ET figues d'automne sur N.
Caractéristiques distinctives des fruits Figues souvent petites, dures, peuvent contenir des insectes. L'intérieur des profichi est plein de pollen et de fleurs mâles près de l'ostiole. Les figues mûres contiennent de nombreuses graines viables. Figues-fleurs souvent grosses. Figues d'automne peuvent tomber si non pollinisées. Figues mûres avec des graines souvent petites et non viables (ou peu). La possible pollinisation peut modifier la composition (taille et la saveur) de la figue.
Présence et Type de Graines dans la figue Non (au sens de semences viables pour consommation/reproduction). Contient galles. Oui, nombreuses graines fertiles et croquantes (uniquement si pollinisée). Si la figue n'est pas pollinisée, les akènes sont des ovules avortés. Ils sont rudimentaires, souvent creux, et restent mous. Ils ne procurent aucune sensation de croquant sous la dent. Figues-fleurs: graines généralement rudimentaires/stériles, peu perceptibles.
Figues d'automne: graines fertiles et croquantes (uniquement si pollinisée). Si la figue n'est pas pollinisée, les akènes sont des ovules avortés. Ils sont rudimentaires, souvent creux, et restent mous. Ils ne procurent aucune sensation de croquant sous la dent.
Généralement absentes ou "fausses graines" (ovaires non fécondés, petits, mous et stériles). L'absence de croquant sous la dent est un indice typique d'une variété parthénocarpique. Une pollinisation reste possible et donnera alors de vraies graines fertiles, modifiant la texture et la saveur du fruit. Dans ce cas, la figue donnera des graines femelles dont une partie sera parthénocarpique.
Reproduction du figuier Stérile. Les caprifiguiers sont la forme mâle naturelle du figuier et proviennent des figues ayant été pollinisées. Techniquement, les mammoni pourraient être pollinisés, mais ce cas de figure ne se produit pas car les guêpes, en pondant dans les ovaires, empêchent la pollinisation. Oui les graines fournissent des figuiers mâles et femelles selon le ratio 50/50 La récolte principale fournie des graines pour des figuiers mâles ou femelles selon le ratio 50/50 Multiplication végétative (bouturage/marcottage) et selection ou graine issue de la figue pollinisée.

Maintenant que le tableau a mis en lumière les distinctions fonctionnelles et morphologiques entre les différents types de figuier, il est temps de sonder leurs fondements. La clé de cette séparation des rôles se trouve dans un héritage génétique subtil, orchestré par quelques gènes déterminants.


Exploration génétique simplifiée du Caprifiguier

Comprendre les gènes clefs

La diversité des figuiers est contrôlée par trois paires de gènes principaux qui interagissent pour déterminer si un arbre est un caprifiguier (mâle fonctionnel) ou un figuier commun (femelle), et si ses fruits peuvent mûrir sans pollinisation (parthénocarpie).

Gène G/g

C'est le gène maître. Contrôle la fonction sexuelle (Sexe et Style floral)
G (dominant) pour mâle, gg (récessif) pour femelle.
S'il y a au moins un allèle G (donc Gg ou GG), l'arbre est un caprifiguier et aura des fleurs à style court.
Seulement si le génotype est gg, l'arbre est un figuier femelle et aura des fleurs à style long.

Gène A/a

Ce gène contrôle la production de pollen. Régule les étamines
A (dominant) les permet , aa (récessif) les supprime.
Un figuier qui possède au moins une copie de l'allèle a (génotype aa) ne pourra pas produire de pollen.

Gène P/p

Ce gène contrôle si le fruit peut mûrir sans stimulation, il détermine la persistance
P (dominant) pour parthénocarpie pp (récessif) non persistance
S'il y a au moins un allèle P (donc Pp ou PP), le fruit est parthénocarpique (persistant). Il peut mûrir sans pollinisation.
Seulement si le génotype est pp, le fruit est caduc (non-persistant). Il tombera s'il n'est pas pollinisé (chez les figuiers femelles) ou habité par les larves de guêpes (chez les caprifiguiers).


Caractéristique Caprifiguier Fertile
Caprifiguier Persistant
(Fertile)
Caprifiguier Stérile
('Tricheur')
Génotype aux locus clés Gg Aa pp Gg Aa Pp ou Gg Aa PP Gg aa Pp
(avec allèle de stérilité)
Phénotype de l'Arbre Caprifiguier
Caprifiguier persistant Arbre "mâle" stérile
Hétérozygote GA/Ga Homozygote GA/GA
Fonction Reproductrice Production de pollen et nurserie pour le pollinisateur. Ne produit pas de graines. Production de pollen et nurserie pour le pollinisateur. Source de pollen fiable pour le croisement. Nurserie pour le pollinisateur uniquement. Ne produit pas de pollen (stérilité mâle).
Morphologie Florale Fleurs staminées (mâles) et pistillées (femelles) à style court (brévistyles). Fleurs pistillées à style court et fleurs staminées avortées/non fonctionnelles.
Rôle pour le Pollinisateur Hôte primaire. Le style court permet à Blastophaga psenes de pondre ses œufs dans l'ovaire, qui se transforme en galle. Hôte primaire trompeur. La guêpe peut se reproduire, mais sa descendance émergera sans pollen.
Expression du Trait 'P' Non-persistant (pp). Les sycones non visités par la guêpe tombent (avortent). Persistant (PP). L'allèle 'P' dominant permet aux sycones de se développer et de mûrir même en l'absence de la guêpe. Stérilité Mâle (Pp). L'allèle 'P' dominant provoque l'avortement des étamines.
Descendance (après pollinisation d'un figuier femelle) Le pollen produit une descendance composée de ~50% Caprifiguiers
(Gg Aa)
et ~50% Figuiers Femelles (gg aa) ou 100% GA/ga Caprifiguier.
Le pollen produit une descendance variée : ~25% Caprifiguiers persistants, ~25% Caprifiguiers non-persistants, ~25% Figuiers femelles parthénocarpiques, et ~25% Figuiers femelles non-parthénocarpiques. Aucune (ne peut pas être un parent). Les guêpes qui en émergent ne transportent pas de pollen, entraînant un échec de la pollinisation.

Caprifiguier Fertile (Gg Aa pp)

C'est le caprifiguier classique, essentiel pour la pollinisation. Son rôle est double: produire du pollen et servir d'hôte pour la reproduction de la guêpe pollinisatrice
  • Gg: La présence de 'G' détermine sa fonction mâle et, par conséquent, la présence de fleurs à styles courts, adaptées à la ponte de la guêpe.
  • Aa: Le génotype récessif 'aa' permet le développement des étamines et la production de pollen.
  • pp: Non-parthénocarpique, ses figues tombent si la guêpe ne s'y développe pas, assurant la synchronisation du cycle.
La source pour créer des nouvelles variétés de type Smyrne

Caprifiguier Fertile et Persistant (Gg Aa Pp/Gg Aa PP)

Cette variante combine la fertilité d'un caprifiguier classique avec la persistance des fruits. Utile pour les programmes de sélection car il assure la survie des figues contenant le pollen.
  • Gg Aa: Fonction mâle ('G') avec styles courts, et capacité de produire du pollen ('Aa').
  • Pp: Le génotype 'Pp' rend ses figues parthénocarpiques. Elles mûriront sur l'arbre même sans la présence de la guêpe.
La seule source pour créer des nouvelles variétés persistantes (type Commun)

Caprifiguier Stérile (Gg aa Pp)

Ce génotype est une impasse reproductive. Il a la structure d'un caprifiguier (styles courts) mais ne produit pas de pollen viable et ne peut donc pas participer à la reproduction sexuée.
  • Gg: Base génétique de caprifiguier avec des styles courts.
  • aa: La présence de 'a' recessif perturbe le développement des étamines, entraînant la stérilité mâle.
  • Pp: La présence de 'P' rend ses figues parthénocarpiques, elles persistent donc sur l'arbre.

Une symbiose sacrée

Au cœur de l'histoire du caprifiguier se trouve une relation qui dépasse le simple partenariat biologique: une symbiose si absolue, si précise et si empreinte de sacrifice qu'elle mérite d'être qualifiée de sacrée. Il ne s'agit pas d'un simple mutualisme, mais d'un pacte de survie scellé par des millions d'années d'évolution, où le figuier (Ficus carica) et sa guêpe pollinisatrice (Blastophaga psenes de la famille Agaonidae qui regroupe les guêpes pollinisatrices des figuiers) sont devenus entièrement dépendants l'un de l'autre. Cette relation s'apparente moins à un partenariat qu'à un pacte de vie et de mort, justifiant pleinement ce qualificatif.


Une interdépendance absolue

Aucune des deux espèces (Caprifiguier et Blastophage) ne peut survivre et se reproduire sans l'autre. Cette interdépendance absolue a façonné leur biologie, leur morphologie et leur comportement de manière profonde.
D'une part, le "caprifiguier", considéré comme le figuier mâle ou sauvage, produit du pollen et sert d'hôte pour la reproduction de la guêpe. D'autre part, le "figuier domestique non parthenocarpique", ou figuier femelle, est celui qui produit les figues comestibles contenant les graines, mais il ne peut pas héberger le développement des larves de la guêpe. Cette séparation des fonctions sexuelles de l'arbre est une stratégie évolutive clé qui structure l'ensemble du cycle de vie de la guêpe.
L'élément central de cette interaction est la figue elle-même, qui n'est pas un fruit au sens botanique commun, mais une inflorescence spécialisée appelée sycone. L'accès à cette cavité florale interne est restreint à une petite ouverture à l'apex, l'ostiole, qui est obstruée par des bractées imbriquées. Seule la guêpe Blastophaga psenes, spécifiquement adaptée, peut franchir cette barrière pour accomplir la pollinisation.

La vie éphémère et essentielle de Blastophaga psenes, la guêpe du figuier

Blastophage psenes femelle lors de l'émergence
Blastophage psenes femelle lors de l'émergence

Si le calendrier de la symbiose révèle un mécanisme parfaitement huilé, il ne dit rien du destin de son messager. La phase de vie de la guêpe à l'extérieur de la figue n'est pas une existence autonome, mais une mission programmée. Son existence illustre un fascinant paradoxe biologique: la survie à long terme des deux espèces repose sur une vie individuelle d'une brièveté et d'une fragilité extrêmes. C'est dans le dimorphisme sexuel de la guêpe que ce sacrifice prend tout son sens: le mâle, confiné et aveugle, face à la femelle, vecteur ailé et programmé pour une course contre la mort.

Le cycle de vie de la guêpe

Cycle Annuel du Caprifiguier et de la Guêpe: un mutualiste complexe et fragile

Visualisation du cycle de reproduction de la guêpe du figuier.

L'émergence: naissance d'un vecteur programmé

L'émergence de la guêpe hors de sa figue natale n'est pas une simple naissance, mais le lancement d'une mission biologique d'une précision et d'une urgence absolues. C'est à cet instant que se révèle la nature profonde de cet insecte: un vecteur, programmé génétiquement pour une seule et unique course contre la montre au service de la survie de deux espèces.

L'architecte de l'ombre: la guêpe mâle

Le premier acte de ce drame se joue dans l'obscurité totale du sycone. C'est le mâle, qui en est le protagoniste sacrifié. Dépourvu d'ailes (aptère) et aveugle, sa seule et unique fonction est de perpétuer le cycle. Il émerge le premier de sa galle, se déplace à la recherche des femelles encore prisonnières des leurs, et les féconde. Sa seconde et dernière tâche est de creuser, avec ses puissantes mandibules, un tunnel à travers la paroi de la figue pour permettre la sortie de la génération fécondée. C'est un acte fondateur qui le condamne: une fois sa double mission accomplie, il meurt à l'intérieur de la figue, sans jamais avoir connu le monde extérieur.

L'architecte de la reproduction et de la pollinisation: la guêpe femelle

La guêpe femelle qui s'échappe par le tunnel, creusé par la guêpe mâle, est une créature à la physiologie entièrement dédiée à l'urgence. Son corps est une machine biologique optimisée pour une mission éclair, sans possibilité de retour ni de repos.

  • La course et le sacrifice de la femelle
    Le passage forcé par l'ostiole, entraîne la perte des ailes et des antennes.

Une fois entrée dans un sycone, le destin de la guêpe femelle est scellé et dépend entièrement de la nature de la figue qu'elle a choisie. Deux voies s'offrent à elle, radicalement opposées:

  • Le Berceau
    Dans la figue mâle, les fleurs à style court (brévistyles) sont parfaitement adaptées à la morphologie de la guêpe. Elles lui permettent de déposer ses œufs, menant à la formation de galles qui abriteront ses larves et assureront ainsi son succès reproductif.
Il a été démontré dans des conditions artificielles que les fleurs femelles des mammoni du caprifiguier, qui sont normalement transformées en galles par la guêpe pollinisatrice Blastophaga psenes L., sont en réalité des fleurs fertiles capables de produire des graines, donnant des fruits charnus, juteux et sucrés, très similaires aux figues femelles comestibles.
Cette capacité à être pollinisé ne survient pas dans la réalité car la guêpe, même en apportant du pollen, pond immédiatement dans les ovaires, bloquant la pollinisation.
  • Le Tombeau
    À l'inverse, la figue femelle devient son tombeau. Ses fleurs à style long l'empêchent physiquement de pondre car son ovipositeur (organe de ponte) n'est pas assez long pour atteindre l'ovaire. En cherchant en vain un site de ponte, la guêpe accomplit sa mission de pollinisation, mais elle est condamnée. Elle meurt sans descendance, sacrifiant sa vie pour garantir le succès reproductif du figuier.

Une ponte immédiate (Pro-ovigénie)
La femelle émerge avec ses œufs déjà arrivés à maturité, un phénomène appelé pro-ovigénie. Il n'y a aucune période d'attente; elle est prête à pondre dès l'instant où elle trouvera une figue réceptive. Son horloge biologique est déjà enclenchée.

La taille d’une guêpe détermine directement sa fécondité, c’est-à-dire le nombre d’œufs qu’elle peut porter. Cette taille dépend elle-même des ressources que la galle, où elle s’est développée, a pu lui fournir.
Lorsqu’elles pondent, les femelles suivent une stratégie précise liée à la compétition locale. Elles commencent toujours par produire des mâles: ainsi, même si leur ponte est interrompue, elles s’assurent que leurs futures filles auront des partenaires pour se reproduire.
Enfin, elles privilégient la partie centrale du sycone pour déposer leurs œufs, une zone particulièrement favorable à leur développement.

Des réserves d'énergie finies
Ses pièces buccales sont atrophiées, la rendant incapable de se nourrir ou de s'abreuver. Elle fonctionne uniquement sur les réserves d'énergie accumulées durant son stade larvaire. Sa vie, qui ne dure en moyenne que 24 à 48 heures, est donc une course inéluctable contre l'épuisement et la mort, ce qui lui impose de trouver une figue réceptive très rapidement pour se reproduire.

Durant cette fenêtre de survie infime, tout est un risque: un coup de vent, une pluie battante, ou la présence d'un prédateur comme une araignée tapie près d'un ostiole. La survie de l'espèce entière repose sur le succès d'une mission individuelle d'une fragilité extrême.
Araignée sur profichi (au printemps)
Araignée sur profichi (au printemps)

Le fardeau du pollen
En sortant par le tunnel creusé par le mâle, la femelle est contrainte de passer à travers la couronne de fleurs mâles situées près de l'ostiole. Son corps est alors abondamment poudré de pollen, qu'elle collecte activement dans des poches spéciales. Dès les premières secondes de sa liberté, elle est transformée en un agent de pollinisation. Ce "fardeau" de pollen n'est pas un poids, mais la raison d'être de son existence éphémère.

Le dernier sacrifice
Une fois morte, la guêpe est dégradée par les enzymes de la figue, la ficine. Son corps est ainsi recyclé et réintégré comme ressource nutritive pour le fruit.

Synthèse du dimorphisme sexuel chez le blastophage psenes

Caractéristique Morphologique Femelle
Blastophage psenes
Mâle
Blastophage psenes
Justification Fonctionnelle
Taille ~2 mm, plus grande que le mâle Plus petit que la femelle Femelle: Nécessite un corps robuste pour le vol et le transport des œufs
Mâle: Taille réduite, optimisée pour la motilité dans un espace confiné.
Couleur Noire et brillante Roux / couleur ambre Femelle: Potentiellement pour la protection (mélanisation) hors de la figue
Mâle: Absence de pression sélective pour la pigmentation dans l'obscurité.
Ailes Présentes, transparentes, fines Absentes (aptère) Femelle: Essentielles pour la dispersion entre les figuiers
Mâle: Inutiles, vie entièrement confinée dans le sycone.
Yeux Composés Fonctionnels, bien développés Vestigiaux ou absents (aveugle) Femelle: Nécessaires pour la navigation et l'orientation visuelle
Mâle: Inutiles dans l'obscurité perpétuelle du sycone.
Antennes Longues, fonctionnelles Vestigiales, réduites Femelle: Organes sensoriels cruciaux pour la détection olfactive de l'hôte
Mâle: Rôle sensoriel limité à la détection des femelles à proximité.
Appendices Mandibulaires Présents, avec des crêtes/dent mandibules puissantes adaptées pour le forage Femelle: Outil spécialisé pour forcer le passage de l'ostiole
Mâle: Mandibules puissantes pour creuser le tunnel de sortie pour les femelles.
Mobilité Vol et marche Marche uniquement Reflète la présence/absence d'ailes et le théâtre de leurs activités.
Durée de Vie Adulte En moyenne 24 à 48h Quelques heures, meurt après l'accouplement et le forage Femelle: Courte pour trouver et coloniser une nouvelle figue
Mâle: Durée de vie minimale requise pour accomplir ses fonctions reproductives.
Fonction Principale Dispersion, pollinisation, ponte Accouplement, forage du tunnel de sortie Division du travail dictant l'ensemble de la morphologie.

Entrée 2 & ponte 2

Guêpes femelles avril sur Profichi
Guêpes femelles avril sur Profichi

Guêpe femelle avril  sur Profichi Guêpe femelle avril sur Profichi
Ponte 2: L'intérieur du profichi en avril Ponte 2: L'intérieur du profichi en avril

Émergence 2

L'intérieur du profichi en juillet
Les blastophages psenes à l'intérieur du profichi en juillet
mergence 2: Les fleurs mâles du Profichi et les blastophages psenes en juillet
Les fleurs mâles du Profichi et les blastophages psenes en juillet

Nurserie

L'intérieur des Mamme en Novembre
L'intérieur des Mamme en Novembre


Un équilibre menacé

La raréfaction ou la disparition du blastophage n'est pas due à un facteur unique, mais à un ensemble complexe et souvent interconnecté de pressions environnementales, anthropiques et agronomiques (pesticides, fragmentation de l'habitat, impact du changement climatique, …).
La disparition du blastophage déclenche une série de conséquences en cascade, allant de l'échec reproductif des arbres à des pertes économiques et à une dégradation écologique plus large.

L'impasse reproductive et l'érosion génétique

Pour le Caprifiguier
Sans le blastophage pour pondre dans ses fleurs, le caprifiguier devient fonctionnellement stérile. L'arbre survit, mais il ne peut plus participer à la reproduction sexuée de l'espèce.
Pour la guêpe
l'absence de son hôte unique signifie une extinction locale inévitable, car elle ne dispose d'aucune autre plante pour accomplir son cycle de vie.
Pour le Figuier Domestique
La conséquence la plus grave à long terme est l'arrêt de la reproduction sexuée. Sans pollinisation, aucune graine viable n'est produite. Cela met un terme à l'évolution naturelle de l'espèce et à la création spontanée de nouvelles variétés locales (issues de semis, ou nābūt), qui sont souvent porteuses d'adaptations uniques au terroir. Le résultat est une érosion insidieuse de la diversité génétique. L'espèce devient entièrement dépendante de la multiplication végétative (bouturage) par l'homme, ce qui fige son patrimoine génétique et la rend beaucoup plus vulnérable aux futures épidémies, aux nouveaux ravageurs ou aux changements climatiques.

Le langage des odeurs

Il existe une différence fondamentale entre le signal olfactif (signal d'attraction) et l’odeur du figuier (signal de fond): ils n’ont ni la même fonction biologique, ni la même composition chimique. D’une part, on trouve un signal spécifique destiné à attirer le blastophage à des moments donnés. D'autre part, il y a l'odeur de fond du caprifiguier.
A cela d'ajoute dans le cas des figuiers femelles, l’odeur de la figue mûre que nous associons généralement à la maturité (signal de maturation).


Le signal olfactif attractif pour la guêpe du figuier

Signal d'Attraction (Pollinisation)

Un message chimique très spécifique destiné à la guêpe Blastophaga psenes. Émis par l'ostiole de la figue femelle (caprifiguier et certaines variétés non parthénocarpiques) au stade B (réceptivité).

Composés clés

  • Alcool benzylique
  • (S)-Linalol
  • Oxyde de (Z)-linalol
  • Oxyde de (E)-linalol

À différencier de l’odeur du fruit mûr, ce signal chimique est un message ciblé, émis par la figue uniquement lorsqu’elle est au stade réceptif, dans le but d’attirer la guêpe du figuier.
La spécificité de l'attraction ne réside pas dans la nature des composés, mais dans leur proportion relative exacte.
On peut imaginer ce signal non pas comme une simple note, mais comme un accord musical complexe. Si un seul des composés est trop ou pas assez présent, l'accord est dissonant et le message n'est pas reconnu par la guêpe. C'est cette signature chimique d'une précision absolue qui guide le pollinisateur vers son but.
La production de ces composés attractifs cesse dès que la pollinisation ou la ponte sont assurées (généralement entre 5h à 12h après l'entrée).

Variations du signal chimique en fonction de la fructification du caprifiguier

Selon le type de fructification du caprifiguier (Mamme, Profichi ou Mammoni), la composition du signal chimique émis varie. Ce bouquet volatil n’imite celui du figuier femelle que lors de la floraison estivale, lorsque les deux sexes fleurissent simultanément.
La "Tromperie" essentielle: L'incapacité de la guêpe à distinguer l'odeur des figues mâles (site de reproduction) et femelles (piège mortel) est un mécanisme paradoxal mais vital pour la pollinisation et la survie du système.
En dehors de cette période, les proportions relatives des composés diffèrent nettement. Le signal est particulièrement intense lors de la fructification des Profichi, favorisant la ponte du blastophage. Cette stratégie assure ainsi la pollinisation lors de la prochaine émergence.

Les composés volatils (COV) et l'attraction olfactive en détail

Le signal olfactif est principalement composé de quatre composés considérés comme attractifs (alcool benzilique, (S)-linalol, (Z)-oxyde de linalol, …). Cette composition est restée stable tout au long des sélections effectués par l'homme.

Alcool benzylique

Un composé aromatique simple avec une odeur douce, légèrement florale et rappelant l'amande. Il agit comme un attractif général pour de nombreux insectes et contribue à la note "sucrée" du bouquet olfactif de la figue.

Le (S)-linalol

Un terpène alcool très répandu dans le monde végétal. Sa senteur est florale, douce, avec des notes de Petitgrain (orange bigarade). C'est l'un des composés clés que la guêpe blastophage reconnaît pour localiser les figues réceptives. C'est un signal universel de fleur pour de nombreux insectes.

Oxydes de linalol (furanoïdes)

Ces composés sont des dérivés du linalol. Leur odeur est différente, plus douce, moins fraîche et plus terreuse. La différence entre les formes (Z) et (E) est une question de stéréochimie: l'arrangement des atomes dans l'espace. Bien que subtile, cette différence peut être perçue par les insectes et modifier l'attractivité du signal.

Oxyde de (Z)-linalol

Senteur florale, douce, légèrement boisée.

Oxyde de (E)-linalol

Senteur similaire, mais plus terreuse et moins fraîche.

La guêpe est capable de détecter le ratio précis entre ces deux isomères, un signal qui indique la maturité exacte de la figue.

Source de l'Odeur Description Olfactive
Signal Spécifique du Sycone (Figue) autour de l'ostiole Sèche, florale et poudrée (pollen).
Note de Tête: Florale et volatile (linalol).
Note de Cœur: Sèche, poudrée et amandée (Alcool benzylique).
Communication ciblée: Agit comme un mot de passe olfactif dont le seul but est d'attirer le pollinisateur Blastophaga psenes.

Proffit M, Lapeyre B, Buatois B, Deng X, Arnal P, Gouzerh F, Carrasco D, Hossaert-McKey M. Chemical signal is in the blend: bases of plant-pollinator encounter in a highly specialized interaction. Sci Rep. 2020 Jun 22

Ce graphique montre que le signal chimique de la figue Profichi, porteuse de pollen, est nettement plus intense avec une variabilité réduite que celui des autres figues, assurant ainsi qu'elle attire la guêpe pollinisatrice au moment crucial. Le signal émis par la figue Mammoni est équivalent à celui de la figue femelle.
L'énigmatique profil COV des Mamme

Le rôle des Mamme, qui servent de nurseries pour les larves de guêpes du figuier durant l’hiver, est essentiel.

Cependant, on ne sait pas encore si ces Mamme émettent des composés organiques volatils (COV), ni quel rôle ces composés pourraient jouer dans leurs interactions avec les guêpes.

L’émergence des guêpes des Mammoni et leur ponte dans les Mamme constitue une étape critique. Cela laisse penser que, durant l’automne, les Mamme pourraient émettre des signaux chimiques guidant les guêpes.

L’évolution des Mamme au cours du cycle laisse penser qu’elles émettent des signatures chimiques différentes selon les phases.

Cette question n'est pas un simple détail, mais touche au point le plus fragile de la symbiose. La survie hivernale de la guêpe est le véritable goulot d'étranglement de son cycle de vie. Un signal olfactif efficace, émis par les Mamme en automne, ne serait donc pas seulement un simple message d'attraction, mais une véritable assurance-vie pour l'espèce. On peut alors émettre l'hypothèse que ce parfum d'attraction d'automne posséderait des caractéristiques uniques, peut-être moins intense que celui des profichi pour s'adapter à des conditions climatiques moins favorables à la dispersion, mais d'une précision absolue pour guider les dernières guêpes de la saison vers leur unique refuge. L'étude de ce signal potentiel reste l'une des clés pour comprendre pleinement la résilience de cette extraordinaire relation co-évolutive.

Bien que les variétés parthénocarpiques n'aient pas besoin de la guêpe pour produire des fruits, elles ont conservé la capacité génétique d'émettre un signal vestigial d'attraction (trait évolutif hérité). Il y a une large diversification du profil chimique mais les proportions relatives des 4 COVs restent globalement inchangées. Donc l'accord olfactif pour attirer le blastophage psenes est maintenu ce qui peut expliquer que les figues dites parthénocarpiques peuvent être pollinisées.

Le signal de répulsion

Signal de Répulsion (Protection)

Émis par les sycones immatures pour se défendre. C'est souvent une version concentrée du signal de fond, rendant le fruit peu appétissant et toxique pour de nombreux agresseurs.

Composés clés

  • Bergamotène
  • β-Caryophyllène
  • Germacrène D

Synthèse des signaux olfactifs du Carifiguier et des figuiers femelles

Nom du Signal Stade du Sycone Saison/période Type de Figuier / Sycone Composition Chimique Principale Caractéristiques du Signal / Description des Arômes Fonction Écologique Cible / Audience
Signal de fond / bouquet général Principalement Stade B (Réceptif), mais aussi présent à d'autres stades (A, C) Printemps / Été (pendant la présence des figues réceptives) Caprifiguier (mâle)
Figuier Femelle (non-parthénocarpique)
Figuier Femelle (parthénocarpique)
Dominé par des terpènes abondants: α-pinène, (E)-β-ocimène, linalol, limonène Large bouquet, abondant, peu spécifique. Signature chimique générale de la plante.
Arômes verts, amères et lactoniques, avec des notes de pin et d'agrumes.
1. Défense contre les herbivores et pathogènes.
2. Balise olfactive à longue distance.
Généraliste (herbivores, pathogènes) et le pollinisateur (pour l'orientation générale).
Signal d'attraction spécifique Exclusivement Stade B (Réceptif) Printemps / Été (courte fenêtre de réceptivité) Caprifiguier (mâle)
Figuier Femelle (non-parthénocarpique)

Absent ou vestigial chez le figuier parthénocarpique
Mélange précis de 4 composés: Alcool benzylique, (S)-linalol, Oxyde de (Z)-linalol, Oxyde de (E)-linalol. "Canal de communication privé", très spécifique. Attractif uniquement dans un ratio précis.
Arômes floraux doux et subtils, avec des notes fraîches, légèrement herbacées et poudrées.
Attraction finale et spécifique du pollinisateur pour assurer la pollinisation. Très spécifique: la guêpe femelle Blastophaga psenes.
Signal de répulsion Stade D (Émergence / Phase Mâle) Exclusivement le Caprifiguier (mâle) Printemps / Été (lorsque les nouvelles guêpes émergent des sycones) Modification du bouquet, augmentation de composés comme l'alcool benzylique et le dibutyl phthalate. Activement répulsif pour les guêpes cherchant à pondre.
Arômes modifiés, potentiellement plus âcres ou chimiques, moins "floraux" que le signal d'attraction.
Empêcher les visites inutiles sur une figue qui n'est plus un site de ponte viable, redirigeant les guêpes vers des figues au stade B. Spécifique: la guêpe femelle Blastophaga psenes cherchant un site de ponte.
Signal de maturation Stade E (Maturation) Fin de printemps / Début d'été (pour les figues-fleurs/brebas) Fin d'été / Automne (pour la récolte principale/figues d'automne) Figuier Femelle (non-parthénocarpique)
Figuier Femelle (parthénocarpique)

Non applicable pour le caprifiguier, qui ne produit pas de fruit comestible
Dominé par des aldéhydes (ex: benzaldéhyde) et des esters (ex: acétate d'éthyle). Les terpènes diminuent. "Message public", arômes "fruités" et "sucrés", indiquant une récompense nutritive.
Arômes fruités, sucrés et gourmands, avec des notes d'amande, de cerise et de fruits mûrs.
Attraction des frugivores (animaux mangeurs de fruits) pour la dispersion des graines. Généraliste: oiseaux, mammifères, humains, etc..
Stade A: Pré-floral | Stade B: Réceptif | Stade C: Inter-floral | Stade D: Émergence | Stade E: Maturation

Synthèse: Calendrier mensuel de la symbiose caprifiguier/blastophage

Symboles utilisés

♀↗︎ Indique que la guêpe femelle sort d'une figue.
♀↘︎ Indique que la guêpe femelle entre dans une figue.
♀ ♂ Indique que les larves/pupes ou guêpe femelle ou/et male sont dans la figue.
♀ ♂

Janvier / Février

(Mamme | sur bois de l'année précédente)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Mamme sont sur l'arbre, protégeant les larves.

Guêpe du Figuier

Stade larvaire (mâles et femelles). La guêpe passe l'hiver sous forme de larve, se nourissant à l'intérieur de la figue Mamme dans des galles florales qui jouent le rôle double: protection et nourriture. C'est la partie du cycle la plus longue. Les larves se développent très lentement, car le froid ralentit leur métabolisme. L'objectif est de survivre à l'hiver.

♀  ♂

Mars

(Mamme | sur bois de l'année précédente)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Mamme continuent de mûrir. Le figuier sort de sa dormance.

Guêpe du Figuier

Avec le réchauffement, Les larves se transforment en pupes à l'intérieur de leurs galles.

♀↗︎ ♀↘︎

Avril

(Profichi | sur bois de l'année précédente)

Caprifiguier (Hôte)

Les Mamme sont mûres. Les jeunes figues Profichi se forment et deviennent réceptives.
Ce sont les seules figues du caprifiguier capables de produire du pollen.

Guêpe du Figuier

La guêpe mâle, dépourvu d'ailes, émerge en premier de sa galle, féconde les guêpes femelles lorsqu'elles sortent de la leur et meurt à l'intérieur de la figue.
Émergence 1: Les femelles fécondées sortent des Mamme et entrent dans les Profichi pour y pondre. Elles déposent un oeuf unique dans chaque ovaire. L'ovaire se transforme en galle qui offre une structure nutritive et protectrice. Elles meurent ensuite à l'interieur de la figue. Là commence le cycle ponte/developpement larvaire/adulte,le plus court et le plus rapide. La chaleur du printemps et de l'été accélère considérablement le développement.

♀  ♂

Mai

(Profichi | sur bois de l'année précédente)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Profichi grossissent, abritant la nouvelle génération de guêpes.

Guêpe du Figuier

Développement larvaire. Les larves pondues en avril (mâles et femelles) se développent dans les galles des Profichi.

♀↗︎

Juin

(Profichi | sur bois de l'année précédente)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Profichi sont mûres et leurs fleurs mâles, situées près de la sortie, libèrent une grande quantité de pollen.

Bien que moins connus que les figuiers comestibles, les caprifiguiers se déclinent en de nombreuses variétés, sélectionnées pour la qualité de leur pollen, leur période de production ou leur résistance. Selon la variété, la maturation des Profichi s’échelonne de début juin à la fin juillet.
Selon une hypothèse non vérifiée actuellement, il est possible que le caprifiguier régule finement l'activité de la ficine pour qu'elle soit moins agressive ou moins présente au moment précis de l'émergence des guêpes. La survie dans le Caprifiguier reste donc une exception.

Guêpe du Figuier

La guêpe male, dépourvu d'ailes (aptère), émerge en premier de sa galle, féconde les guêpes femelles lorsqu'elles sortent de la leur et meurt à l'intérieur de la figue après avoir creuser un tunnel vers l'ostiole, dans le but de faciliter la sortie de la guêpe femelle en lui minimisant la libération de latex.
Émergence 2: (Caprification). Une nouvelle génération de guêpes femelles émerge des Profichi par le seul chemin possible, l'ostiole. En le traversant, elles se couvrent de pollen des fleurs mâles, stratégiquement situées à cet endroit et justement arrivées à maturité, puis s'envolent.

♀↘︎

Juillet / Août

(Mammoni | sur bois de l'année)

Caprifiguier (Hôte)

La récolte d'été Mammoni se forme sur les nouvelles pousses et est réceptive pour accueillir les guêpes.

Guêpe du Figuier

L'étape cruciale. Les femelles pollinisent les figuiers comestibles ou assurent la survie de l'espèce en pondant dans les Mammoni .

1

La guêpe femelle, une fois fécondée et couverte de pollen, part à la recherche d’un nouveau sycone, pour y pondre ses œufs.
Ce déplacement n’est pas aléatoire: il est guidé par des composés organiques volatils (COV) émis par les figues dites "réceptives". Ces molécules odorantes, présentes dans l’air autour des figues, forment un signal chimique que l’espèce de guêpe correspondante est capable de détecter et d’interpréter, mais des exceptions existent.


Deux cas de figure peuvent alors se produire lorsque la guêpe arrive sur une figue réceptive …

2A

Scénario A (Mammoni du Caprifiguier):
Elle entre, pond ses œufs dans les fleurs à style court, dépose un oeuf unique dans chaque ovaire et meurt à l'intérieur du sycone. Cette ponte déclenche la formation d'une galle qui joue un rôle double: protection et nourriture. Son cycle de reproduction réussit.

2B

Scénario B (Figuier Smyrne, San Pedro ou parthénocarpique):
Elle entre, tente de pondre mais échoue à cause des styles longs. En se déplaçant, elle pollinise les fleurs. Sa mission est une impasse pour elle, mais vitale pour le figuier car ces figues produiront des graines. Elle meurt à l'interieur.
En l'absence de pollinisation par le blastophage, les figues sur le bois de l'année, de type Smyrne ou San Pedro (2ième récolte) tombent.

L'ostiole est ouvert, preuve du passage du blastophage. Sur la coupe transversale, on distingue le corps d'un blastophage au niveau des bractées. La figue pollinisée sera plus précoce, plus grosse que celle non pollinisée. Son goût sera aussi modifié.

♀↗︎

Septembre

(Mammoni | sur bois de l'année)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Mammoni mûrissent prêtes à libérer la dernière génération de guêpe de l'année.

Guêpe du Figuier

La guêpe male, dépourvu d'ailes, émerge en premier de sa galle, féconde les guêpes femelles lorsqu'elles sortent de la leur et meurt à l'intérieur de la figue.
Émergence 3: La dernière génération de femelles de l'année émerge des Mammoni, prête pour la phase finale du cycle.

♀↘︎

Octobre / Novembre

(Mamme | sur bois de l'année)

Caprifiguier (Hôte)

Les jeunes figues Mamme se forment sur les nouvelles pousses pour l'hivernage.

Guêpe du Figuier

Préparation à l'hivernage. Les femelles fécondées cherchent les nouvelles figues Mamme pour y pondre leurs oeufs.

♀ ♂

Décembre

(Mamme | sur bois de l'année)

Caprifiguier (Hôte)

Les figues Mamme abritent les œufs qui éclosent en jeunes larves, prêtes à passer l'hiver. A ce stade, les Mamme n'emettent plus de COV.

Guêpe du Figuier

Début du stade larvaire. Les larves (mâles et femelles) commencent leur cycle de développement hivernal bien protégées. Le cycle est bouclé.

Une odyssée évolutive & une histoire multimillénaire

Cette symbiose extraordinairement spécialisée n'est pas le fruit du hasard. Elle est l'aboutissement d'une histoire évolutive qui s'étend sur des dizaines de millions d'années. Pour comprendre le figuier d'aujourd'hui, il faut remonter le temps, de ses origines lointaines jusqu'à sa rencontre décisive avec l'humanité.


L'évolution du genre ficus


Période Datation
(Millions d'années)
Événement Évolutif Majeur
Paléocène ~64 Ma Origine du Genre Ficus
La lignée Ficus se sépare de ses plus proches parents. Apparition du sycone (figue) et début de la co-évolution avec les guêpes pollinisatrices. (datation moléculaire)
Éocène ~44 Ma Radiation 1: Scission Continentale
L'ancêtre commun se divise, séparant la lignée des Amériques (Subg. Pharmacosycea) de celle de l'Ancien Monde (Clade principal).
~40 Ma Divergence des "Étrangleurs"
Au sein du clade de l'Ancien Monde, la lignée des figuiers "étrangleurs" (Subg. Urostigma, qui inclut F. microcarpa) se sépare.
Plus ancien bois fossilisé de ficus (Ficoxylon) trouvé en Italie, dans la région de la Vénétie, mais sans attribution à une lignée précise, corroborant les modèles de dispersion de l'Éocène.
~38 Ma Radiation 2: Innovation de la dioécie
Apparition de la dioécie (sexes séparés), ce qui déclenche une explosion de diversité et donne naissance au Grand Clade Dioïque (Ce clade contient la majorité des espèces de Ficus et s'est diversifié en plusieurs lignées distinctes.).
~34-38 Ma Premières Divergences dioïques
Le Subg. Sycomorus (contenant F. hispida) est l'une des premières lignées à se séparer au sein du nouveau Grand Clade Dioïque. Un groupe majeur principalement distribué en Afrique et en Asie, connu pour ses grands arbres et ses figues qui poussent souvent en grappes sur le tronc (cauliflorie).
La lignée qui mènera au Ficus carica se sépare de celle du Ficus hispida. C'est aussi à cette période que nous avons la preuve formelle de l'existence du mutualisme avec la decouverte du fossile d'une guêpe pollinisatrice dans les marnes de Bembridge sur l'île de Wight, en Angleterre.
Oligocène ~30 Ma Diversification Continue
D'autres grands groupes dioïques comme le Subg. Sycidium (Un groupe très diversifié de l'Ancien Monde, souvent composé d'arbustes ou de petits arbres aux feuilles rugueuses) et le Subg. Synoecia se forment (Cette lignée est remarquable car elle comprend de nombreuses espèces grimpantes ou rampantes qui s'accrochent aux arbres ou aux rochers.).
Miocène ~20 Ma Radiation 3: Le Clade Caricae
Émergence du Clade Caricae, une lignée plus récente adaptée aux climats tempérés, qui contient le Ficus carica.
Pliocène / Pléistocène ~2-3 Ma Spéciation de Ficus carica
Une duplication complète du génome (WGD) se produit, un événement génétique majeur qui contribue à former l'espèce Ficus carica telle que nous la connaissons. Cet évènement est le point de départ du processus de spéciation du Ficus carica.
Parthénocarpie: L'hypothèse scientifiquement actuelle est que la mutation pour la parthénocarpie s'est produite naturellement dans une population de figuiers sauvages pré-domestiqués. Elle a probablement existé en tant que variant rare pendant une période significative avant le début du Néolithique.
Holocène avant ~11400 ans Domestication de Ficus carica
Événement culturel: Les humains ont commencé à cultiver le figuier, en sélectionnant des variétés capables de produire des fruits sans pollinisation (parthénocarpie).

Cette vaste histoire évolutive a laissé des traces dans les archives géologiques. Au sein même du massif de la Clape, le gisement fossilifère d'Armissan offre une fenêtre locale sur ce lointain passé, bien qu'elle nécessite une interprétation prudente.

Dans la Clape, les jardins pétrifiés d'Armissan

Comment se positionne le gisement fossilifère d'Armissan

Le gisement fossilifère d’Armissan, situé dans le bassin de Narbonne (Aude, France), constitue un site paléobotanique de référence pour l’étude de la flore rupélienne (Oligocène inférieur, ≈ 33,9–28,1 Ma). La richesse et la diversité des empreintes foliaires qu’on y observe permettent de reconstituer dans une certaine mesure, les paléoenvironnements méditerranéens du Tertiaire.
L'identification des fossiles de Ficus à Armissan par Gaston de Saporta, par ailleurs très limitée ( voir le carnet: La flore fossile d'Armissan | Les jardins pétrifiés du temps), est aujourd'hui considérée avec une grande prudence et, dans le cas le plus documenté, elle a été révisée. En effet, Les traces étudiées par Saporta à Armissan étaient quasi exclusivement des empreintes foliaires. Il n'a pas identifié de sycones.
Au XIXe siècle, l'identification reposait sur la morphologie externe (forme de la feuille, type de nervation). Or, de nombreuses familles de plantes non apparentées peuvent développer des feuilles d'apparence très similaire par un phénomène appelé convergence évolutive.


Nom original (par Gaston de Saporta) L'identification est-elle correcte? De quelle espèce s'agit-il réellement?
Ficus reticulata Saporta Non Il s'agit très probablement d'un laurier. Une révision de 2018 par le paléobotaniste A.B. Doweld a formellement reclassifié ce fossile en Laurus ficoides. Le nom "ficoides" signifie "qui ressemble à un Ficus", reconnaissant la ressemblance qui avait initialement trompé Saporta.
Ficus paradoxa Saporta Incertaine / Probablement incorrecte Ce fossile est moins documenté que le précédent. Sans une révision moderne du spécimen type, son attribution au genre Ficus reste purement hypothétique et est considérée comme très peu probable par la communauté scientifique actuelle. Il est souvent placé dans la catégorie des attributions douteuses.
Ficus armissanensis Saporta Incertaine / Probablement incorrecte Cette identification basée sur une feuille de l'Éocène est considérée comme incertaine. Il a été réinterprété comme Daphnogene armissanensis (Saporta) Kvaček & Walther (Lauraceae).
Ficus dryophylla Saporta (à feuille de chêne) Incertaine / Probablement incorrecte Impossibilité de vérifier à quel taxon biologique ce nom se réfère ce qui le rend scientifiquement inopérant (nomen dubium).
Bien que le genre Ficus ait été présent en Europe à l’époque de la formation du gisement d’Armissan, comme en témoignent les fossiles de guêpes pollinisatrices et le bois fossilisé datant de la même période, les feuilles attribuées à ce genre et décrites par Gaston de Saporta ne sont plus considérées comme des indices taxonomiquement fiables. L’occurrence de Ficus au Rupélien dans ce gisement n'est plus assurée.

Si les traces fossiles du figuier dans la Clape sont sujettes à caution, les preuves archéologiques de sa relation avec l'homme, elles, sont spectaculaires. Elles ont non seulement confirmé son ancienneté mais ont aussi redéfini notre vision des origines de l'agriculture.


Pionnier de l'Agriculture: la domestication du figuier

L'histoire de l'agriculture, longtemps perçue comme un processus linéaire débutant avec la culture des céréales, a été profondément remise en question par l'étude de la domestication du figuier commun, Ficus carica. Les preuves archéobotaniques accumulées au cours des dernières décennies suggèrent que cet arbre n'était pas un acteur secondaire de la Révolution Néolithique, mais potentiellement son pionnier. Sa domestication, survenue environ un millénaire avant celle du blé, de l'orge ou des légumineuses, révèle une voie alternative et sophistiquée vers la production alimentaire, fondée non pas sur le cycle des semences, mais sur la technique horticole du clonage.

La preuve de la consommation

Le Contexte Archéologique

Le site de Gesher Benot Ya‘aqov

Les fouilles de ce site exceptionnellement bien conservé ont livré des restes de bois et de graines de Ficus carica qui ont été datés de 780 000 ans avant aujourd'hui.
C'est la plus ancienne preuve de consommation de figues issues de figuiers non domestiquées par des hominidés pré-Homo sapiens (peut-être Homo erectus), ce qui implique un héritage comportemental beaucoup plus ancien au sein de la lignée humaine. Le figuier est déjà une ressource naturelle et alimentaire reconnue.

Le Site de Ohalo II

Sur les rives de la mer de Galilée, ce site submergé, daté de 23 000 ans avant aujourd'hui, a livré des fruits de figuier remarquablement conservés. Il offre un instantané de la diète des chasseurs-cueilleurs de la fin du Paléolithique supérieur, pour qui les figues constituaient une source de sucre et de nutriments appréciée aux côtés des céréales sauvages et du gibier. Ohalo II témoigne donc d'une longue histoire d'exploitation et de consommation d'une ressource sauvage, mais pas nécessairement de sa culture.

La Preuve Botanique: La Parthénocarpie comme signature de la domestication

Le Site de Gilgal I

La pièce maîtresse du dossier est le site archéologique de Gilgal I, un village du Néolithique Pré-Céramique A localisé dans la basse vallée du Jourdain. Les datations au carbone 14 situent son occupation entre 11 400 et 11 200 ans avant le présent. Ce site, étudié notamment par Mordechai E. Kislev, Anat Hartmann et Ofer Bar-Yosef, a révélé des habitations semi-souterraines et des structures de stockage, témoignant d'une communauté sédentaire ou en voie de sédentarisation, bien avant l'avènement de l'agriculture céréalière à grande échelle.

La découverte de figues carbonisées

C'est dans une structure de stockage effondrée et incendiée que la découverte décisive a été faite: neuf figues carbonisées remarquablement conservées, ainsi que plus de 300 drupéoles (les akènes internes). Le fait que ces fruits aient été récoltés, transportés au village, séchés puis entreposés pour une consommation différée constitue déjà un indicateur fort d'une gestion planifiée et non d'une simple cueillette opportuniste.

"Onze mille ans auparavant, un changement critique s'est opéré dans l'esprit humain, passant de l'exploitation de la Terre telle qu'elle est à la modification active de l'environnement pour répondre à nos besoins." Ofer Bar-Yosef, Université Harvard (Commentaire sur la découverte de Gilgal I)

Avant cette découverte, le consensus scientifique plaçait la domestication établie et répandue du figuier il y a environ 6 500 ans, au Chalcolithique (Âge du Cuivre) soit après celle du blé et de l'orge.
L'analyse des figues de Gilgal I a révélé leur nature parthénocarpique par la présence de drupéoles creuses et sans embryon (parthénocarpie végétative). Ce terme botanique désigne la capacité d'une plante à développer des fruits sans qu'il y ait eu fécondation. Ces fruits sont donc dépourvus de graines fertiles et sont par conséquent stériles. Dans la nature, une mutation conduisant à une parthénocarpie obligatoire est une impasse évolutive: l'arbre ne peut pas se reproduire par voie sexuée et est voué à disparaître avec l'individu.

L'argument du clonage

La présence d'un stock de figues parthénocarpiques est l'argument clé en faveur d'une domestication. La seule manière de multiplier un arbre mutant stérile est par propagation végétative, c'est-à-dire par clonage. Les premiers agriculteurs devaient prélever des branches (boutures) de l'arbre mutant "exceptionnel" pour les planter et créer de nouveaux arbres génétiquement identiques.

Cet acte délibéré de sélection et de clonage est la définition même de l'horticulture. Il prouve que les habitants de Gilgal I possédaient une connaissance agronomique avancée. Ils avaient:

  • Identifié une mutation rare et avantageuse (fruit sans graines, plus sucré, disponible sans pollinisation).
  • Compris qu'elle ne se transmettait pas par les graines (inexistantes ou stériles).
  • Maîtrisé la technique du bouturage/marcottage pour la propager.

Une révolution agricole repensée

La conclusion principale est que la domestication du figuier a précédé celle des céréales (blé, orge) d'environ 1000 ans, au moins localement. Cela ne signifie pas que la culture généralisée du figuier puisse être datée de cette époque. Cela suggère aussi que la Révolution Agricole n'a pas été un événement unique et monolithique, mais un processus complexe avec de multiples origines et stratégies. L'horticulture basée sur le clonage d'arbres pérennes a représenté une voie vers la sédentarisation tout aussi viable que la culture de plantes annuelles à graines.

Domestication des plantes du Proche-Orient

Plante (Nom commun)
Nom scientifique
/
Période de Domestication Estimée
Foyer(s) d'Origine Primaire(s) Type de Preuves Principales
Figuier
Ficus carica
~9400 av. J-C
Levant (Vallée du Jourdain) Archéobotanique (figues parthénocarpiques)
La date de ~11400 AP marque une proto-horticulture localisée. Les preuves intermédiaires montrent que durant les millénaires suivants, le figuier a continué à être exploité et s'est lentement diffusé. La culture généralisée (pratique agricole établie) n'est attestée que bien plus tard, vers 6500-6000 AP.
Blé
Triticum spp.
~8000 av. J-C
Croissant Fertile Archéobotanique (rachis non cassant)
La domestication (~10000 AP), dont le marqueur est le rachis non cassant doit être distinguée de l'exploitation de formes sauvages, attestée dès 23000 AP.
Orge
Hordeum vulgare
~8000 av. J-C
Croissant Fertile Archéobotanique (rachis non cassant)
Débat sur une origine monophylétique (Croissant Fertile) vs. polyphylétique (foyers secondaires possibles, ex: Tibet).
Olivier
Olea europaea
~5000-4000 av. J-C
Levant (côtier) Archéobotanique (noyaux broyés, résidus d'huile)

Processus en deux temps: invention de l'oléiculture au Levant, puis diffusion et adaptation sur des millénaires dans tout le bassin méditerranéen.
Palmier-dattier
Phoenix dactylifera
~5000-4000 av. J-C
Mésopotamie, Golfe Persique Archéobotanique, Iconographique
La domestication initiale par semis a été suivie d'une innovation technologique cruciale: la propagation végétative (clonage).
Vigne
Vitis vinifera
~9000 av. J-C
Deux foyers indépendants: Levant (raisins de table) et Caucase du Sud (raisins de cuve). C'est la lignée du Levant qui s'est hybridée avec des vignes sauvages en migrant vers l'Europe. Génétique, Archéobotanique
La génétique a révélé une domestication 3000 ans plus ancienne que ne le suggérait l'archéologie du vin, et dans deux foyers distincts.

L'hypothèse alternative: Une cueillette hautement sélective

Un débat scientifique existe. Certains chercheurs ont proposé que les habitants de Gilgal I auraient pu se contenter de pratiquer une cueillette très intensive sur des figuiers parthénocarpiques sauvages, sans pour autant les cultiver.

Cependant, la plupart des experts, y compris l'équipe de Kislev, réfutent cette hypothèse. La probabilité de trouver une telle concentration de fruits d'une variété rare dans un silo, et le fait que les restes aient été séchés pour le stockage, plaident très fortement en faveur d'une culture délibérée près du village plutôt que d'une cueillette lointaine et aléatoire.

Classification du Caprifiguier

La dénomination correcte du caprifiguier est Ficus carica L. L'espèce appartient à la famille des Moraceae, dans laquelle se trouve le mûrier.

Carica fait référence à la Carie, une région historique d'Asie Mineure (sud-ouest de l'Anatolie, aujourd'hui en Turquie), mentionnée dès le XIIIe s. av. J-C et réputée depuis l'Antiquité pour la culture des figues.

L'ancien nom d'espèce Ficus caprificus (Antoine Risso 1844: comme espèce à part entière) et le nom Ficus carica var. caprificus (Alexander Tschirch 1911: comme variété) sont des synonymes de Ficus carica L. D'un point de vue nomenclatural, ils sont obsolètes.

La distinction entre cette forme, le caprifiguier, et la forme domestique se fait par l'usage de termes descriptifs et non par des rangs taxonomiques infraspécifiques.
Cette unification de la nomenclature repose sur un fait biologique: le caprifiguier et le figuier domestique ne sont ni des espèces ni des variétés distinctes. Ils constituent les deux formes sexuelles (hermaphrodite et femelle) d’une seule et même espèce, unies par un système de reproduction interdépendant: la gynodioécie.

Le caprifiguier dans l'Imaginaire humain

Une fois intégré au quotidien des civilisations méditerranéennes, le figuier, sauvage comme cultivé, quitte le seul champ de l'agriculture pour entrer dans celui, fertile, du mythe, du symbole et de la spiritualité.


Le figuier sauvage: acteur des mythes Gréco-romains

L'erineos dans l'Odyssée, entre péril et salut

MYTHE | Le double sens du figuier sauvage erineos dans l'Odyssée (VIIIe siècle av. JC)

Le figuier sauvage, désigné dans le texte homérique par le terme grec ἐρινεός (erineos), joue un rôle bref mais crucial et symboliquement très riche dans l'un des épisodes les plus célèbres de l'Odyssée: la traversée du détroit gardé par les monstres Charybde et Scylla, au Chant XII. L'usage de l'ἐρινεός dans ce passage est double: il est d'abord un repère topographique marquant un péril mortel, avant de devenir paradoxalement l'instrument du salut du héros.

La première mention de l'arbre intervient dans les instructions que la magicienne Circé donne à Ulysse pour la suite de son voyage. En décrivant le détroit, elle oppose deux écueils: celui, très haut, où vit Scylla, et un autre, plus bas, au-dessus duquel pousse un grand figuier sauvage.

Ulysse, l'autre écueil que tu verras est plus bas, très-près de l'autre, et à la portée des flèches. A son sommet s'élève un figuier chargé de feuilles; au-dessous de ce figuier est la formidable Charybde, qui engloutit sans cesse l'onde noire: trois fois par jour et elle la rejette,


Πλησίον ἀλλήλων· καί κεν διοϊστεύσειας. Τῷ δ᾽ ἐν ἐρινεὸς ἔστι μέγας, φύλλοισι τεθηλώς· τῷ δ᾽ ὑπὸ δῖα Χάρυβδις ἀναρροιβδεῖ μέλαν ὕδωρ. Τρὶς μὲν γάρ τ᾽ ἀνίησιν ἐπ᾽ ἤματι, τρὶς δ᾽ ἀναροιβδεῖ

Ici, l'ἐρινεός n'est pas un simple élément de décor. Il fonctionne comme un σῆμα (sêma), un signe, un point de repère visuel qui ancre le danger dans le paysage. Sa présence ne fait qu'accentuer la menace: c'est sous ses branches, à son pied, que se trouve le gouffre qui engloutit et vomit la mer trois fois par jour. L'arbre, symbole de vie et de fertilité dans d'autres contextes, est ici associé à une force de destruction. Il marque des lieux de transition et de danger critique où la vie et la mort se côtoient.

Le Figuier sauvage comme instrument de salut

Plus tard dans le même chant, après que le navire d'Ulysse a été foudroyé par Zeus pour punir ses compagnons d'avoir mangé les bœufs du Soleil, Ulysse se retrouve seul, à la dérive sur un radeau improvisé. Les courants le ramènent inexorablement vers le détroit maudit. C'est alors que le figuier sauvage change de fonction de manière spectaculaire.
Au moment où Charybde aspire les flots, engloutissant le radeau d'Ulysse, le héros ne doit sa survie qu'à un réflexe désespéré: il s'élance et s'agrippe aux branches de l'ἐρινεός qui surplombe le vide.

Je m'élance alors sur un haut figuier, et j'y reste fortement attaché comme une chauve-souris. Je ne pouvais ni me reposer sur mes pieds, ni m'élever plus haut, car les racines de cet arbre étaient éloignées, et les longues branches qui ombrageaient l'abîme étaient à une très-grande hauteur. J'y reste suspendu jusqu'à ce que le monstre ait rejeté de son sein le mât et la carène de mon navire.


αὐτὰρ ἐγὼ ποτὶ μακρὸν ἐρινεὸν ὑψόσ᾽ ἀερθείς, τῷ προσφὺς ἐχόμην ὡς νυκτερίς. Οὐδέ πῃ εἶχον οὔτε στηρίξαι ποσὶν ἔμπεδον οὔτ᾽ ἐπιβῆναι· ῥίζαι γὰρ ἑκὰς εἶχον, ἀπήωροι δ᾽ ἔσαν ὄζοι, μακροί τε μεγάλοι τε, κατεσκίαον δὲ Χάρυβδιν.

L'arbre qui signalait la mort devient l'unique point d'ancrage qui permet la vie. Sa robustesse et son enracinement, qui lui permettent de pousser au bord du chaos, offrent à Ulysse un support stable au-dessus du néant. Il y reste suspendu, attendant patiemment que le gouffre recrache les débris de son radeau, sur lesquels il se laissera tomber pour poursuivre sa route.

Analyse Symbolique

L'utilisation de l'ἐρινεός dans l'Odyssée est un exemple magistral de la densité symbolique du récit homérique.
La Dualité de la Nature: L'arbre incarne la nature dans sa double facette, une force sauvage et indifférente qui marque un lieu de destruction, mais aussi une force vitale et tenace qui offre une chance de survie inespérée.
La Mètis d'Ulysse: L'épisode met en valeur l'une des qualités essentielles d'Ulysse: son intelligence pratique, sa ruse (mètis), et sa capacité à s'adapter et à saisir la moindre opportunité. Il ne survit pas par la force brute, mais par un geste d'agilité et d'endurance, en utilisant un élément du décor hostile à son avantage.
Le Passage entre Deux Mondes: Suspendu entre le ciel et le gouffre marin, Ulysse est littéralement entre la vie et la mort. Le figuier sauvage est le point de passage, le seuil qui lui permet de basculer du bon côté. Il devient le sêma de sa survie, le témoin de sa capacité à surmonter une épreuve qui anéantit tous les autres.

Ainsi, bien avant que Théophraste ne l'étudie pour ses propriétés botaniques, l'ἐρινεός était déjà, dans l'imaginaire grec, un arbre puissant, ancré dans un paysage mythique où se côtoient les plus grands périls et les plus extraordinaires exploits.

Le caprificus, arbre rituel de Junon Caprotina

MYTHE | Culte de Junon Caprotina et les Nonae Caprotinae

Le mythe des Nonae Caprotinae raconte comment une esclave nommée Tutula (ou Philotis) sauva Rome d’une défaite contre les Latins. Lorsque ces derniers exigèrent que les femmes et filles de la cité soient livrées comme otages, elle proposa d’envoyer à leur place des servantes déguisées afin de tromper l’ennemi. Le signal convenu, une torche brandie depuis un figuier sauvage (caprificus), permit aux Romains d’attaquer et de remporter la victoire. Cet événement donna naissance à la fête célébrée le 7 juillet, jour des Nones de Quintilis.

Dans le déroulement du mythe, le caprificus est l'instrument du salut de Rome. Une fois que l'héroïne, l'esclave Tutula (ou Philotis), et ses compagnes ont réussi à enivrer et désarmer les ennemis latins, le moment crucial est de donner le signal convenu aux Romains pour qu'ils lancent l'assaut.
C'est là que le figuier sauvage intervient à la fois, un point d'observation et de signalisation. Tutula grimpe au sommet d'un grand caprificus qui se trouve près du camp ennemi. De cette position élevée, elle peut agiter une torche allumée en direction de Rome.
Un élément de la ruse: Selon Plutarque, la ruse est double. Tutula prend soin de tendre son manteau ou des tentures derrière la torche pour que la flamme soit visible des Romains, mais reste cachée aux ennemis, les empêchant de déceler le signal.
Le déclencheur de la victoire: Ce signal, lancé depuis le figuier, alerte les magistrats et les soldats romains qui fondent sur le camp adverse et remportent une victoire décisive.
La fête elle-même tire son nom, Nonae Caprotinae, de cet arbre salvateur, le caprificus, en souvenir de son rôle dans la libération de la cité.

Le mythe de l'esclave est créé pour expliquer et donner un sens patriotique à un rituel préexistant en l'honneur de Junon. L'élément qui sert de pont entre l'histoire de l'esclave et le culte de la déesse est le figuier sauvage. Il est crucial dans les deux récits:
Dans la ruse de l'esclave: C'est l'instrument physique du salut. L'héroïne, Tutula, grimpe sur un caprificus pour brandir la torche qui donne le signal de la victoire aux Romains. L'arbre est donc le pivot de l'action héroïque.
Dans le culte de Junon: C'est l'instrument du rituel. Les femmes célèbrent leur banquet à l'ombre d'un caprificus et utilisent sa sève (lait/latex) et ses branches pour le sacrifice à la déesse. L'arbre est donc le pivot du culte.
Le mythe vient expliquer pourquoi cet arbre est si important dans le rituel. Il est sacré parce qu'il a été le théâtre d'un événement fondateur qui a sauvé Rome. La fête est même nommée Nonae Caprotinae en souvenir de cet arbre.
La ruse devient l'acte fondateur qui justifie pourquoi la communauté doit honorer cette déesse spécifique (Junon Caprotina), à cet endroit précis (le Palus Caprae), en utilisant cet instrument sacré (le caprificus), pour célébrer sa double nature de déesse de la fertilité et de protectrice de Rome.

PÉRIODE AUTEUR OEUVRE ET PASSAGE TERME(S) UTILISÉ(S)
Ier siècle av. J-C Varron De la langue latine, VI, 18 Caprificus
Analyse étymologique qui lie le nom de la fête (Nonae Caprotinae) à celui du figuier sauvage (caprificus). Il précise que c'est sous cet arbre qu'un sacrifice était offert à Junon.
Ier-IIe siècle ap. J-C Plutarque Vie de Camille, 33 &Vie de Romulus, 29 ἐρινεός (erineos)
Raconte en détail la ruse de l'esclave Philotis (ou Tutula) qui monte sur un figuier sauvage pour donner le signal de l'attaque aux Romains avec une torche. L'arbre est le point culminant de l'action stratégique.
IVe-Ve siècle ap. J-C Macrobe Saturnales, I, 11, 36-40 Caprificus
Donne le récit le plus complet du mythe et du rituel. Il connecte explicitement la commémoration de la victoire, le rôle de l'arbre comme poste d'observation, et le culte rendu à Junon Caprotina.

Le Ficus Ruminalis, arbre fondateur de Rome

LÉGENDE | Le Ficus Ruminalis, du refuge primordial à la fondation de Rome

Dans l'histoire légendaire de la fondation de Rome, le figuier sauvage, connu sous le nom de Ficus Ruminalis, est un symbole central et puissant, chargé de plusieurs couches de signification qui se superposent: la survie, la protection maternelle, la fondation et le destin de la cité.

Au cœur du mythe fondateur de Rome, aux côtés de la louve nourricière et des jumeaux divins, se dresse une figure végétale d'une importance capitale: le Ficus Ruminalis. Selon la légende, c'est dans les racines de cet arbre, situé à l'entrée de la grotte du Lupercal au pied du Palatin, que s'est arrêté le berceau flottant de Romulus et Rémus, les sauvant ainsi des eaux du Tibre.

Les sources antiques dressent un portrait cohérent de l'arbre fondateur. Plutarque (c. 46 / c. 120 ap. J-C), dans sa Vie de Romulus au chapitre 4, est le plus explicite, le décrivant comme un "figuier sauvage" (utilisant le terme grec spécifique de ἐρινεός (erineos)) situé près de la grotte du Lupercal. En utilisant ce terme, il ne fait pas que décrire botaniquement le figuier sauvage, par opposition au figuier cultivé, συκῆ, sykê, il le rend porteur d'un héritage littéraire et symbolique immense dans le monde grec en connectant instantanément la scène fondatrice de Rome à l'univers de l'épopée homérique, l'Arbre de la Survie et du Péril.

Autel d'Ostie détails
Autel d’Ostie, dit de Mars et de Vénus. Relief représentant la grotte du Lupercal et le figuier sauvage, symbole des origines mythiques de Rome. Marbre, IIᵉ siècle ap. J.-C.

Du Ficus ruminalis au ficus navia

Pline l'Ancien, dans son Histoire Naturelle (XV.77), confirme cette étymologie et ajoute un épisode crucial: la translocation miraculeuse de l'arbre. Il rapporte que l'augure Attus Navius aurait déplacé l'arbre depuis son emplacement sauvage originel au Lupercal jusqu'au cœur civique de Rome, le Comitium, près de la Curie.

Dans le forum même, et au milieu des comices, on cultive un figuier, en mémoire d'une consécration faite pour la foudre qui tomba en ce lieu, ou plutôt en mémoire d'un autre figuier qui abrita [ sur les bords du Tibre] Romulus et Rémus, nos fondateurs, et qu'on nomma ruminal parce que, sous son feuillage, fut trouvée la louve donnant aux enfants sa mamelle, en vieux latin rumen: un groupe en bronze représentant cette merveille a été consacré par l'augure Attus Navius dans le forum, comme si le figuier ruminal y avait passé spontanément [ des bords du Tibre ]. Là cet arbre se dessèche, mais les prêtres ont soin, de le renouveler. Il y eut aussi devant le temple de Saturne un figuier qu'on arracha l'an de Rome 260 (les vestales firent à cette occasion un sacrifiée) parce qu'il attaquait la base de la statue du dieu Sylvain. Pline l'Ancien Livre XV Remacle.org

Ovide, dans les Fastes (II.411), note qu'à son époque, il ne restait que des vestiges (vestigia) de l'arbre sur son site d'origine, suggérant que l'arbre du Forum était déjà considéré comme le successeur légitime. Il l'appelle d'ailleurs Rumina ficus.

L’œuvre de Conon, mythographe grec du Ier siècle av. J-C, contemporain d’Auguste, est son recueil intitulé Διηγήσεις (Narrations). Dédié au roi Archélaos de Cappadoce, ce recueil regroupait cinquante récits légendaires, notamment sur la fondation de cités. Dans cet ouvrage, Conon qualifie l’arbre du Forum de figuier sauvage sacré (ἐρινεὸς ἱερά) le présentant comme un mémorial (ὑπόμνημα: hypomnēma) de l’arbre originel. L’œuvre elle-même n’a pas été conservée, et nous n’en connaissons le contenu que par un résumé du IXe siècle inclus dans la Bibliothèque de Photius (codex 186).
Le passage relatif au figuier sacré se trouve précisément dans le récit 48, où Conon évoque le berceau des jumeaux fondateurs de Rome, Romulus et Rémus. Il y décrit un figuier sauvage sacré subsistant au Sénat (ou dans le Comitium), protégé par une balustrade de bronze, symbole vivant du souvenir de l’arbre originel sous lequel furent nourris les fondateurs légendaires

48 – Romulus et Rémus
Il [Conon] raconte l'histoire de Romus et Romulus, s'écartant sur certains points des autres versions. Il dit qu'Amulius, complotant contre son frère Numitor, le tua, et fit de sa fille, Ilia, une prêtresse de Vesta afin qu'elle n'ait pas d'enfants. Mais Mars s'unit à elle, et lui révéla qui il était et qu'elle aurait de lui deux fils, et qu'elle devait avoir confiance. Mais après qu'elle eut accouché, Amulius la jeta en prison et donna les nouveau-nés à l'un de ses bergers fidèles pour qu'il les fasse disparaître. Celui-ci, les ayant pris, ne voulut pas les souiller de ses propres mains, et les plaça sur le fleuve Tibre, pensant que le courant les emporterait. Mais la rive les retint, et une louve, qui venait de mettre bas, trouvant les enfants, leur offrit ses mamelles. Et un figuier sauvage, en face de la Curie, est montré comme un mémorial de ce qui s'est passé, car c'est là que les enfants furent trouvés. Narrations, Conon

Des auteurs grecs comme Denys d'Halicarnasse, dans Antiquités Romaines (Livre I, 79), le nomment "…πρὸς ἐρινεὸν ἄγριον, ὃν ἱερὰν συκῆν ὀνομάζουσιν ἐφ’ ἡμῶν…. qu'on traduit par:
"…près d'un figuier sauvage (erineós), que de notre temps on nomme le figuier sacré (hierán sykén)… ce qui reflete une transformation culturelle et symbolique de l'arbre depuis l'origine sauvage à la sacralisation domestique.
Le figuier qui se trouvait dans le Comitium, au cœur du Forum romain, est le plus souvent appelé le Ficus Navia.
Ce nom lui a été donné en l'honneur de l'augure légendaire Attus Navius. Selon la tradition, cet arbre serait apparu miraculeusement à cet emplacement, ou y aurait été transplanté depuis son site originel (le Ficus Ruminalis du Palatin) par l'augure lui-même.
Il est important de noter que cet arbre est considéré comme le successeur ou le descendant symbolique du Ficus Ruminalis, le figuier sauvage originel sous lequel Romulus et Rémus furent découverts. Les auteurs antiques utilisent d'ailleurs plusieurs noms pour le désigner, ce qui montre la continuité entre les deux arbres sacrés.

Du Ficus ruminalis au ficus navia

Le déplacement de l'arbre du Lupercal, un lieu sauvage et liminal, vers le Comitium, le centre politique et religieux, est un acte symbolique d'une immense portée. Il représente la capture et l'institutionnalisation d'une force primale et sauvage au service de la cité. Rome ne renie pas son origine sauvage; elle la déplace, l'encadre d'une clôture de bronze et la place sous la surveillance de ses prêtres, la transformant en un pilier de son ordre civique. Pour que cette métaphore fonctionne, l'arbre doit être, par nature, sauvage.

C'est tout le paradoxe de Rome: sa civilisation ne renie pas ses origines sauvages, mais les capture, les sacralise et les place en son cœur même comme source de sa puissance.

Période Auteur Œuvre et Passage Terme(s) utilisé(s)
~VIIIe s. av. J-C Homère Odyssée , Chant XII, v. 103 & 432 ἐρινεός (erineós)
Le terme désigne un figuier sauvage dans son état naturel. C'est un repère géographique périlleux, un élément de la nature brute surplombant Charybde, sans aucune connotation sacrée ou cultivée.
 Fin Ier s. av. J-C /
 Début Ier s. ap. J-C
Denys d'Halicarnasse Antiquités Romaines , Livre I, 79 1. ἐρινεόν (erineón)
2. ἱερὰ συκῆ (hierà sykē)
Denys est le témoin crucial de la transformation symbolique . Il utilise erineón ("figuier sauvage") pour décrire la nature botanique de l'arbre, puis précise qu'on l'appelle hierà sykē ("figuier sacré") de son temps. Le passage de erineós (sauvage) à sykē (cultivé, civilisé) marque la "domestication" de l'arbre par le mythe.
Début Ier s. ap. J-C Ovide Les Fastes , Livre II, v. 411 Ficus Ruminalis
Ovide utilise le nom cultuel latin. Ficus est le terme générique, mais l'épithète Ruminalis ancre l'arbre directement dans le mythe de la fondation et de la nourriture providentielle. C'est la vision purement romaine et religieuse.
Milieu Ier s. ap. J-C Pline l'Ancien Histoire Naturelle , Livre XV, 20 (77) Ficus Ruminalis
Ficus Navia
En tant qu'encyclopédiste, Pline documente l'histoire "officielle" de l'arbre. Il utilise le nom consacré Ficus Ruminalis et rapporte son remplacement symbolique par le Ficus Navia au Comitium, soulignant son importance civique et religieuse continue.
Fin Ier / Début IIe s. ap. J-C Plutarque Vies parallèles , Vie de Romulus, 4 ἐρινεόν (erineón)
Écrivant en grec, Plutarque revient au terme botanique standard erineón ("figuier sauvage"). Il se concentre sur le récit pour son public hellénophone, en utilisant le mot le plus direct et descriptif, plutôt que le nom du culte romain.

Le don divin: de la nature brute à la culture ordonnée, le figuier cultivé dans le mythe de Démeter

MYTHE | Démeter et le premier figuier cultivé

Ce mythe repose sur la description qu'en fait Pausanias (IIe siècle de notre ère). Il rapporte l'inscription gravée sur la tombe de Phytalos, un poème qui immortalise le mythe et son importance dans le paysage rituel de l'Attique.

C'est dans cet endroit, dit-on, que Phytalos donna l'hospitalité à Cérès (Déméter), qui pour le récompenser lui fit don du figuier. L'inscription suivante qu'on lit sur le tombeau de Phytalus en fait foi: Le héros Phytalos reçut jadis ici sous son toit la vénérable Cérès (Déméter); la déesse fit alors connaître pour la première fois le fruit divin connu par les mortels sous le nom de figue. On rend à la race de Phytalos des honneurs éternels en mémoire de ce don. Pausanias, Description de la Grèce, (I, XXXVII, 2)

Dans sa quête pour retrouver Pherséphone enlevé par Hadès, le dieu des Enfers, sa mère Déméter, déesse de l'agriculture et des moissons, est submergée par un chagrin si profond que la terre entière devient stérile. Le cycle des saisons est interrompu, et la famine menace l'humanité.
C'est dans ce contexte de désolation que la déesse, déguisée en vieille femme mortelle, parcourt le monde à la recherche de son enfant.
Au cours de son errance, Déméter arrive en Attique. Là, près d'Éleusis, le héros et roi Phytalos lui offre l'hospitalité sacrée
En remerciement de son accueil, Déméter offre à Phytalos un cadeau d'une valeur inestimable: le premier figuier cultivé. Ce n'est pas un simple arbre, mais le prototype d'une nouvelle culture destinée à l'humanité. Certaines sources précisent même que la déesse créa la figue à cette occasion, ce qui suggère un acte de création divine plutôt qu'un simple transfert de technologie agricole.
Cet acte élève la figue au même rang que le blé, l'autre grand don civilisateur de Déméter, enseigné à Triptolème.

Le don concerne explicitement le figuier cultivé, qui s'oppose à sa contrepartie sauvage et stérile, symbolisant ainsi le passage de la nature brute à la culture ordonnée, un thème central de l'œuvre civilisatrice de la déesse.

Le figuier: traces et symboles

La représentation du Caprifiguier au Moyen Âge

Au Moyen Âge, le figuier (Ficus carica) était un arbre bien connu et fréquemment représenté, chargé d'une riche symbolique religieuse et apprécié pour ses vertus médicinales et nutritives. Cependant, les représentations spécifiques de son pendant sauvage, le caprifiguier, sont quasi absentes des sources iconographiques de l'époque. Si la distinction botanique et le processus de pollinisation assistée par le caprifiguier (la caprification) étaient connus depuis l'Antiquité, leur illustration ne semble pas avoir été une préoccupation pour les artistes et enlumineurs médiévaux.

Le figuier domestique apparaît régulièrement dans divers contextes artistiques médiévaux:

Manuscrits religieux
Dans les scènes bibliques, le figuier est souvent présent, notamment dans les représentations d'Adam et Ève au Jardin d'Éden, se couvrant de ses feuilles après avoir commis le péché originel. Il est également l'arbre maudit par le Christ dans les Évangiles.

Dans la Genèse f5v de la Bible de Moutier-Grandval (c. 835), l’arbre représenté ne correspond pas à une espèce botanique identifiable. Il remplit avant tout une fonction narrative et symbolique, il ne s’agit pas d’un figuier, mais de l’archétype de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal
Dans la Genèse f5v de la Bible de Moutier-Grandval (c. 835), l’arbre représenté ne correspond pas à une espèce botanique identifiable. Il remplit avant tout une fonction narrative et symbolique, il ne s’agit pas d’un figuier, mais de l’archétype de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal

Herbiers et traités de médecine
Des ouvrages majeurs de la fin du Moyen Âge, tels que les Tacuina Sanitatis (traités de santé) et les Tractatus de Herbis (traités des simples), accordent une place notable au figuier, dont ils multiplient les représentations iconographiques. Ces enluminures, souvent insérées dans un contexte didactique, mettent en valeur la récolte des figues, soulignant leur double fonction: alimentaire, en tant que fruit nourrissant, et médicinale, en tant que remède prescrit dans diverses affections. L’arbre y apparaît généralement dans une stylisation caractéristique de l’art médiéval, mais il conserve toujours son rôle fonctionnel, associé à l’entretien du corps et à la santé. Au-delà de cette utilité pratique, le figuier participe également d’une symbolique plus large: il évoque l’abondance, la fertilité et, dans certains contextes, une forme de sagesse liée à la nature. Un manuscrit particulièrement représentatif, le Tacuinum Sanitatis conservé à la Bibliothèque nationale de France (LAT 9333), offre un exemple remarquable de ce traitement iconographique, où la figue se trouve à la croisée de l’utile et du symbolique.


Sculpture religieuse
Dans l’art roman comme dans l’art gothique, la feuille de figuier apparaît régulièrement en sculpture, sur chapiteaux, portails ou statues, en lien direct avec la symbolique du Péché originel.

La Tentation d'Ève, à l'origine sur le linteau du portail est de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun (c. 1130)
La Tentation d'Ève, à l'origine sur le linteau du portail de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun (c. 1130)
Sculpture d'Adam provenant du transept sud de Notre Dame de Paris - CI. 11657 `(c. 1260)
Sculpture d'Adam provenant du transept sud de Notre Dame de Paris - CI. 11657 (c. 1260)

Aucune représentation médiévale identifiée à ce jour ne peut être attribuée avec certitude au caprifiguier. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette absence:

  • Le primat de l'utilité: Dans les herbiers médiévaux, l’art botanique obéissait avant tout à une logique pragmatique: représenter les plantes utiles à l’homme, qu’il s’agisse de nourriture ou de remède. Le caprifiguier, dont les fruits sont impropres à la consommation, ne présentait pas d’intérêt direct. Son rôle agronomique, favoriser la pollinisation du figuier cultivé, relevait d’un savoir trop technique, trop spécialisé pour trouver place dans des ouvrages destinés à un large public.
  • Manque de différenciation visuelle: Pour un œil non averti, caprifiguier et figuier domestique se confondent presque: même silhouette, mêmes feuilles lobées. Les enlumineurs, qui n’étaient pas botanistes, représentaient sans doute un figuier “type”, un archétype hérité de leurs modèles. Plutôt que d’observer la nature, ils recopiaient des images plus anciennes, perpétuant ainsi une tradition iconographique plutôt qu’une description fidèle.
  • Connaissance textuelle mais non visuelle: La caprification, connue depuis l’Antiquité grâce à Théophraste ou Pline l’Ancien, a bien été transmise par les textes savants, mais ce savoir n’a guère trouvé d’écho dans l’iconographie médiévale.

De ces récits fondateurs qui ont façonné l'imaginaire méditerranéen, quelles traces subsistent aujourd'hui sur le territoire de la Clape? C'est à travers l'art médiéval et les noms de lieux que l'on peut retrouver l'empreinte locale du figuier domestique et l'effacement du Caprifiguier.


Les chapiteaux de la Chapelle de l'abbaye de Olieux, domaine des Monges

Jean Bistan, marchand de Narbonne, fait don en 1204 à l'abbaye de Fontfroide dont Bernard V est l'abbé régulier (1200-1216), d'un domaine lui appartenant le domaine des Olieux à condition d'y établir une abbaye cistercienne de femmes. Sa construction est datée de la première moitié du XIIIe siècle.

La présence de feuilles de figuier ainsi que la représentation des scènes narratives comme celle d'Adam et Ève sur les chapiteaux de la chapelle des Olieux, seul vestige de l'ancienne abbaye, constitue à priori une anomalie notable dans l'esthétique cistercienne (la présence d'autres éléments à priori hors champ cistercien viennent aussi s'ajouter à la liste des exceptions: motifs du chapiteau C2). En effet, ces motifs étaient en principe délibérément exclu de l'art cistercien originel en raison de la forte et complexe charge narrative, jugée incompatible avec l'idéal de silence et de contemplation de l'Ordre.

Adam se couvrant d'une feuille de figuier
Adam se couvrant d'une feuille de figuier

Pourquoi à l'origine, le figuier est absent dans l'art cistercien?

L'argument central est que l'esthétique cistercienne, influencée par la Règle de saint Benoît et formalisée par Bernard de Clairvaux, rejette l'art figuratif et narratif jugé comme une source de distraction pour les moines en quête de contemplation. L'art cistercien privilégie des formes épurées, géométriques et végétales stylisées, où la beauté naît de la simplicité, de l'harmonie des proportions et de la lumière, plutôt que de l'ornement. Son but est de créer un environnement silencieux, propice à la prière et non de raconter des histoires.
La feuille de figuier est un symbole particulièrement problématique pour cet idéal, car elle est "iconographiquement bruyante".

La problématique de la symbolique de la feuille de figuier dans la tradition chrétienne

Dans la tradition chrétienne, elle possède une double signification puissante et contradictoire:
Positive: elle est le symbole de la plénitude promise par Dieu: la paix parfaite de l'âge messianique (Michée 4:4), la sagesse nourrissante issue de l'étude des Écritures (Jean 1:48 & Eruvin 54a-b), et l'espérance de la guérison divine (2 Rois 20:7 & Joël 2:22).
Négative: Elle est surtout indissociable de la Chute d'Adam et Ève, de la honte du péché (Genèse 3:7), et de la malédiction par le Christ du figuier stérile (Matthieu 21:18-22), symbole de l'hypocrisie religieuse.
Cette forte charge narrative rend la feuille de figuier incompatible avec l'art cistercien qui recherche le silence et l'intériorité.

Une analyse des motifs végétaux réellement présents dans les grandes abbayes (Fontenay, fondée en 1118; Sénanque, fondée en 1148; Le Thoronet, fondée en 1146, …) confirme cette hypothèse. Le répertoire se limite à des motifs au symbolisme abstrait ou identitaire, la feuille d'eau (Emblème de l'Ordre, symbole de pureté) du cistel (roseau: Rappel des origines marécageuses de Cîteaux), la pomme de pin (Symbole de la rigueur de la règle monastique). Il en est de même à l’abbaye de Fontfroide (fondée en 1093 et rattachée à l'ordre cistercien en 1145), où le décor végétal respecte la sobriété cistercienne. Cependant dans le cloître, commencé dans la seconde moitié du XIIIe siècle et achevé au début du XIVe, l'influence gothique se fait plus présente. On y trouve un chapiteau orné de feuilles de figuier.

Plutôt qu'un ajout tardif, c'est la date même de construction de l'abbaye des Monges au XIIIe siècle qui peut expliquer son style particulier. Cette période est en effet charnière, elle succède à la stricte rigueur bernardine du XIIe siècle et voit un assouplissement progressif des règles esthétiques.
Le motif de la feuille de figuier, principalement pentalobée, apparaît sur trois des huit chapiteaux de la chapelle des Olieux selon un programme iconographique rigoureux. Dans le chœur (C1/C8), espace dédié à la contemplation, son traitement reste sobre et symbolique. En revanche, sur le chapiteau d’Adam et Ève (C4), placé à l’entrée de l’édifice, il devient narratif et didactique, marquant la frontière entre intérieur sacré et extérieur profane, une frontière que l’on retrouve évoquée également sur le C5. ( voir le carnet: Le territoire de l'abbaye des Olieux | Domaine des Monges, entre pierre et silence)

Si l'art médiéval nous renseigne sur la perception symbolique de l'arbre, les noms de lieux, quant à eux, nous ancrent dans son histoire agricole et territoriale.


Les traces de l'arbre dans la toponymie locale

En latin vulgaire, le mot pour nommer la figue évolue vers la forme fica, qui donnera naissance à l'occitan figa.
Pour désigner l'arbre cultivé, la langue occitane offre une dualité de genre intéressante. On trouve principalement la forme masculine figuièr et les formes féminines figuièra ou figuièira.
Le terme occitan le plus spécifique et techniquement correct pour le caprifiguier est cabral, avec sa variante cabrau dérivé de cabra, chèvre. À côté du terme cabral, la langue occitane utilise également des phrases descriptives plus transparentes comme figuièr mascle (figuier mâle) et figuièr salvatge (figuier sauvage). Cette dernière expression révèle une assimilation populaire entre le caractère mâle et l'état sauvage, fondée sur des observations écologiques.

On trouve dans la Clape deux toponymes, Figuières qui désigne dans un contexte toponymique, une figueraie et Figairolle, une petite figueraie. Ces deux toponymes se rapportent au figuier domestique.

Figuière (La):
Dans l'Aude, le toponyme Figuières est mentionné dès le XIe s.
Dans la Clape

1538: f., c° de Narbonne; anc. dépendance du monastère des Olieux. Alh morelh delha Fyguyera, (arch. Aude, C, rech. dioc. Narb.)

Fragment d'un jugement rendu entre les consuls de Narbonne et l'abbesse des Olieux, au sujet des droits de dépaissance, de banderage et d'emphytéose dans les terres et granges de Montredon, de Figuières, de Fontanilles et dans tout l'île del Lec qui étaient en litige entre les parties AA 103 3eme Thalamus.

1696: Le courtal de Figuières (arch. com. Narb., non invent.)


Figairole (La)

XIe s.: lieu dit, c° d'Armissan; anc. fief relevant des consuls de Narbonne.
…hinc de ipsa Figarolia usque in flumine Axate…
(Bibli. nat., ms. latin. 5211D, collectio chartarum ad ecclesiam S. Pauli Narbonensis pertinentium, quae datae sunt ab anno 1007, n° 7, copie du XVe s.).

MS 5211D n°7 © BNF
MS 5211D n°7 © BNF
Cette attestation précoce confirme l'ancienneté de ce type toponymique dans la région.

1649: Le terroir de la Figueirolle, de cette paroisse [d'Armissan] (arch. com. Narb., livre des îles et terroirs, p. 45)

Dictionnaire topographique du département de l'Aude: par l'abbé Sabarthès, 1912

On ne trouve pas de toponyme se rapportant au figuier sauvage. Cette absence peut s'expliquer par le fait que la toponymie tend à privilégier les plantes ayant un marqueur agricole important ou définissant un repère digne d'être nommé et reconnu.

Si la mémoire des mots l'a effacé au profit de son cousin domestique, la mémoire de la pierre, elle, n'a rien oublié. Le figuier sauvage, grand absent des cartes et des parchemins locaux, règne en maître sur les lieux que les hommes ont délaissés ou que la nature a façonnés à l'écart des regards. Il est temps de quitter les textes pour retrouver l'arbre et d'aller à sa rencontre, là où il se dresse, témoin silencieux de la force du vivant.

Des figuiers males ou femelles, lieux improbables et cathédrales de feuillage dans la Clape

Ce chapitre est une invitation à une errance visuelle. Il nous mène à la rencontre de ces figuiers, qu'ils soient mâles ou femelles, qui colonisent les lieux improbables du massif: une faille dans la falaise, le cœur d'une ruine, le bord d'un chemin oublié. Dans ces espaces où la vie semble précaire, ils ne se contentent pas de survivre; ils créent un monde. En déployant leur ramure, ils bâtissent de véritables cathédrales de feuillage, des abris où la lumière est tamisée et le silence palpable. Les images qui suivent sont des portraits de ces solitaires magnifiques, une célébration de leur architecture végétale et de leur présence souveraine dans les recoins secrets de la Clape.

Quelques explications pour finir

Dans l'introduction de ce carnet, on avait cité la co-évolution Caprifiguier-guêpe comme un exemple de la pensée d'Edgar Morin. Une explication détaillée s'impose.

La complexité surgit là où l'unité produit ses émergences.

C'est le cœur de la pensée complexe d'Edgar Morin. Pour lui, un système (comme une cellule, un être humain, une société) est une unité qui est plus que la simple somme de ses parties. De l'interaction entre les composants de ce système naissent des propriétés nouvelles, imprévisibles, que l'on ne peut pas observer en étudiant les parties isolément. Ce sont les émergences.
Morin nous explique que la complexité réside précisément dans ce lien inséparable entre l'unité du tout et la diversité des parties qui le constituent, ainsi que dans les qualités nouvelles qui en jaillissent.

C'est pourquoi la simplicité n'est pas un point de départ, mais une conquête sur cette résistance initiale.

Cette idée est également centrale chez Morin. Il critique ce qu'il appelle le "paradigme de simplification", qui domine la pensée occidentale. Ce paradigme tend à réduire le complexe au simple, disjoindre ce qui est lié et ignorer le désordre, l'incertitude et la contradiction.
Pour Edgar Morin, la réalité est intrinsèquement complexe, désordonnée et incertaine. La simplicité n'est donc pas la situation par défaut. C'est un objectif, une conquête de l'esprit. Atteindre une "simplicité complexe" signifie être capable de penser ensemble les différentes facettes d'une réalité, de comprendre les liens, les interactions et les ambiguïtés, pour finalement en dégager une vision claire et articulée.
Ce n'est donc pas un retour à une simplicité naïve de départ, mais l'aboutissement d'un effort pour penser la complexité. C'est une simplification qui ne mutile pas, mais qui intègre.

La co-évolution Caprifiguier-guêpe et le Lien avec la Pensée d'Edgar Morin

Cette relation est une illustration parfaite de ses concepts clés.
L'unité produit ses émergences
Le figuier seul ne peut pas se reproduire. La guêpe seule ne peut pas survivre. Pris séparément, ils sont incomplets. Mais leur unité organisationnelle (le système figuier-guêpe) fait "émerger" des propriétés radicalement nouvelles: la reproduction sexuée du figuier, la survie de l'espèce de la guêpe, et la création d'un fruit qui est une source d'énergie fondamentale pour tout un écosystème (oiseaux, mammifères...). La complexité naît de cette interaction où le tout est bien plus que la somme des parties.
La boucle récursive (la cause et l'effet s'entremêlent)
Qu'est-ce qui produit l'autre? Le figuier produit la guêpe (en l'abritant), mais la guêpe produit le figuier (en le fécondant). Chaque élément est à la fois produit et producteur dans une boucle où la cause et l'effet ne sont plus linéaires mais circulaires et interdépendants. C'est l'essence même de l'auto-organisation du vivant.
Le principe hologrammatique
La partie est dans le tout, et le tout est dans la partie. L'information sur le cycle de vie de la guêpe est, en quelque sorte, "inscrite" dans la structure même du figuier (forme des fleurs, cycle de maturation...). Inversement, l'information sur la structure du figuier est "inscrite" dans l'ADN et les comportements instinctifs de la guêpe. L'un ne peut être compris sans l'autre.

La Simplicité comme Conquête
  • Le point de départ (la résistance initiale)
  • C'est un système qui semble absurde, contre-intuitif et incroyablement risqué. Pourquoi une dépendance si totale? Pourquoi ce sacrifice de la guêpe dans la figue femelle? C'est un "désordre" apparent.
  • La conquête (la simplicité complexe)
  • Comprendre ce cycle, c'est conquérir cette complexité. On atteint une forme de "simplicité" supérieure en comprenant la logique organisationnelle qui unit ces deux êtres. On voit alors que ce "désordre" est en fait un ordre d'une finesse et d'une efficacité redoutables, peaufiné par des millions d'années de coévolution.

En conclusion, la relation entre le caprifiguier et le blastophage est bien plus qu'une simple anecdote de biologie. C'est une manifestation vivante de la pensée complexe: un système où l'interdépendance, la circularité et l'émergence créent et maintiennent la vie d'une manière que la simple analyse séparée de ses composants ne pourrait jamais révéler.

Ainsi s'achève cette errance autour des figuiers sauvages de la Clape. Partis d'une simple observation sensorielle au pied d'un arbre anonyme, nous avons voyagé de la biologie moléculaire des parfums aux mythes fondateurs de notre civilisation. Cet arbre de la soif et du silence, enraciné dans les failles de nos garrigues, se révèle être bien plus qu'un simple végétal: un carrefour de vie, un témoin de l'histoire profonde et un gardien des seuils de notre imaginaire. Apprendre à le voir, c'est apprendre à lire la complexité du monde qui nous entoure.
Cette exploration n'est donc pas un simple exercice académique, mais un appel à la préservation. Reconnaître le caprifiguier non comme un arbre sauvage inutile mais comme la clé de voûte de l'écosystème du figuier dans la Clape est la première étape. Les futurs efforts de conservation devront se concentrer sur la protection de ces arbres du silence et de leur fragile pollinisateur. C'est à cette condition que ce pacte ancien et sacré, scellé il y a des millions d'années, continuera de se déployer dans les recoins cachés du massif.