Carnet hommage à ceux qui ont exploré et aimé la Clape
de JYB, AC et Ma Clape
Un texte sur la mémoire d’un homme dans la mémoire d’un lieu, sur la force de ceux qui nomment et transmettent, et sur la Clape comme espace où les voix du passé et du présent continuent de se croiser
Malgré son jeune âge, il était la mémoire vivante du passé gruissanais, une source où nous puisions abondamment le contenu de nos articles. Homme de parole, toujours disponible, cultivé, fidèle, pudique, humain, avide d'apprendre, il nous manque déjà terriblement. Je me souviens de ses paroles qui m'avaient tellement émue:
J'aimerais tant parfois retourner en arrière, revoir toute l'histoire depuis maintenant jusqu'à nos ancêtres. C'est pour cela que je suis tout le temps sur leur trace. Et je remue des tonnes de terre, semblable à une taupe, dans cette recherche. Et parfois nos ancêtres me récompensent de cet acharnement à les rejoindre, par quelques indices que je fais parler.
Cher Jean-Luc, maintenant tu connais toutes les réponses de ces êtres qui t'attiraient, puisque maintenant tu es parmi eux.
Introduction au carnet
Une carte sensible plutôt qu’un recueil: habiter le paysage par la mémoire
Ce carnet n’est pas un recueil de souvenirs, ni une autobiographie de Jean-Luc Armengaud. Il est une carte sensible, une invitation à marcher autrement, avec l’oreille tournée vers ce qui fut, avec le regard attentif à ce qui demeure. À travers les mots de ceux qui ont su écouter, nommer, transmettre, le paysage devient mémoire, et la mémoire, une manière d’habiter la Clape.
Jean-Luc Armengaud, veilleur de silence et passeur de récit
Jean-Luc Armengaud fut de ceux-là. Par ses pas patients, il a su révéler les silences du massif, déchiffrer ses lignes, écouter ses pierres. Explorateur discret, veilleur de paysages, amoureux du Massif de la Clape, il a ancré sa présence dans la mémoire du lieu, et a su révéler l’âme à travers son regard et ses récits.
Ce texte est un hommage à cet homme lié à un territoire, à la présence persistante de ceux qui, par leurs mots et leurs gestes, façonnent un lieu au-delà du temps. C’est aussi une méditation sur la puissance des mots, sur l’acte de dire pour que rien ne disparaisse, sur l’art de raconter pour que le silence ne devienne pas oubli. Car dire un lieu, c’est l’habiter encore; le nommer, c’est le faire vivre aux yeux de ceux qui viennent après.
Ce carnet s’inscrit dans cette continuité. Il prolonge son geste. Il rappelle, avec pudeur et fidélité, le lien profond qu’il tissait avec ce massif. Et il vous invite, à son tour, à en percevoir la richesse, non seulement celle des paysages, mais aussi celle de sa mémoire qui y circule, discrète et persistante.
Laissez-vous submerger par la mémoire du lieu
Le souffle d'un paysage
Écouter, marcher, dire: une manière d’habiter autrement
À travers cette métaphore, qui évoque une présence vivante et vibrante du lieu, il s’agit de reconnaître que le massif de la Clape n’est pas un simple décor figé, mais un espace habité, mouvant, avec lequel on peut entrer en résonance. Jean-Luc Armengaud a su établir ce dialogue intime, à l’image de ceux qui prennent le temps d’observer, d’écouter, de traverser le paysage comme on lit une page vivante du monde. Par son regard, ses mots, sa manière de marcher, il est devenu un passeur. Il ne faisait pas que nommer, il révélait. Il ne traversait pas un territoire, il l’écoutait, et lui répondait.
Le Massif de la Clape: un espace de résonance entre passé et présent
Aujourd’hui encore, quand on retourne dans la Clape, quelque chose subsiste. Le silence semble habité par sa présence. Ses pas résonnent doucement, comme si le massif se souvenait de ceux qui l’ont parcouru avec respect. Certains paysages gardent la trace invisible de ceux qui les ont aimés, non dans la pierre seule, mais dans l’épaisseur du vivant, cette façon d’habiter le monde avec conscience.
L’homme et le lieu: une mémoire partagée
Le massif devient acteur, porteur de récits, échos des vies qui l’ont traversé. En rendant hommage à Jean-Luc Armengaud, on reconnaît la force de ce lieu, sa capacité à préserver ce qui ne doit pas s’effacer. Dans les chemins qu’il a foulés, les paysages qu’il a décrits, les noms qu’il a fait revivre, son empreinte, matérielle et immatérielle, demeure, discrète, mais tenace.
L'héritage immatériel
L’acte de dire comme sauvegarde du vivant
La mémoire disparaît si personne ne la porte. Explorer, écrire, nommer, ce n’est pas seulement témoigner, c’est faire exister. Chaque lieu décrit, chaque nom prononcé devient une balise contre l’oubli. Ce travail inscrit ce qui fut dans la conscience collective, non pas comme une archive, mais comme une présence vivante.
Jean-Luc Armengaud fut de ces passeurs de mémoire.
Son regard posé sur la Clape était celui d’un témoin, c’était un regard habité, un engagement.
Il marchait dans son territoire comme on feuillette un livre ancien, soucieux d’en préserver l’histoire, les voix, l’identité au-delà des objets.
Il marchait sur des chemins qui naissaient sous ses pas.
Des traces qui défient l'oubli
Empreintes en héritage dans la Clape
Un dialogue différé avec l’avenir
Dans ce paysage qu’il a tant aimé, subsistent aussi des traces discrètes, mais profondes. L’empreinte, réfléchie et durable, mais que le temps, lentement, efface, sans jamais la faire disparaître tout à fait, devient un discret marqueur de passage, une parole silencieuse gravée dans la roche.
Elle dit simplement:j’étais ici, j’ai traversé ce lieu.
Il y a dans ce geste une symbolique forte, une marque, à la fois signature épurée aux lettres entrelacées, sceau personnel et porte entre le passé et le présent.
Ce signe n’est pas fait pour être vu tout de suite. Il attend. Il appelle un regard futur, un passage plus tardif. Il est le début d’un dialogue différé, destiné à celui ou celle qui, un jour, le découvrira et comprendra que cette présence est encore là, dans la pierre.
Deux sources pour remonter le fil de la mémoire
Deux lieux pivots unis par la présence de l’eau, celle qui dort, celle qui rugit.
Certains lieux, comme certaines vies, créent des liens. Ils rassemblent des fragments de mémoire, des histoires, des présences. Parmi tous ceux que Jean-Luc a traversés, deux lieux me reviennent avec une force particulière. Peut-être parce qu’ils ont en commun l’eau, cette eau qui traverse les paysages, relie les êtres, et garde la trace. C’est par eux que j’ai choisi de revenir vers lui.
À ce titre, ces deux sources peuvent être envisagées comme des lieux-pivots, des points de passage où s’ancrent les récits, où la mémoire affleure, et d’où partent les chemins de la transmission.
La première source affleure au fond de la grotte, tapie dans l’ombre, comme un secret ancien que seuls les initiés savent retrouver. Elle incarne cette mémoire profonde, enfouie, presque minérale, une mémoire lente, patiente, qui suinte plus qu’elle ne s’impose. L’eau tombe sur la pierre avec une régularité hypnotique, patient écho d’un temps souterrain, dont chaque battement use le silence.
Jean-Luc Armengaud la connaissait bien. Il savait que l’on n’y parvient pas par hasard. Il fallait la chercher, la ressentir, comme on cherche les souvenirs qui résistent, les mots qu’on croyait perdus. Cherchait-il dans ce rythme lent et régulier, dans ces instants de silence entrecoupés, à retrouver le temps de l'histoire?
La seconde se révèle au bout de la combe, en franchissant le porche. Là, l’eau surgit dans la pénombre, cascade abondante, offerte, parfois chantante, comme un geste de partage. C’est la mémoire transmise, donnée, accueillie.
C’est un lieu de passage, mais aussi de renaissance, là où l’eau reprend souffle, là où le marcheur peut, un instant, faire halte et écouter l'histoire.
Ces deux sources, si différentes, disent quelque chose du rapport que Jean-Luc entretenait avec le massif, une alliance entre silence et parole, entre retrait et partage. Elles sont comme deux visages de la mémoire, l’une secrète, l’autre offerte, toutes deux essentielles, toutes deux vivantes.
La photographie dans la grotte
Le cade, le cyprès, le figuier: un chemin initiatique vers la grotte
Pour accéder à la photographie cachée dans la grotte, il faut d’abord arriver au Cade, ancien, rugueux, dont l’écorce craque comme une voix grave, mémoire enracinée dans la pierre. Puis passer entre les cyprès noirs, silhouettes droites et silencieuses, gardiens du seuil. Et enfin, s’arrêter un instant sous le figuier, plus tendre, plus proche, dont l’ombre accueille ceux qui savent attendre.
Trois arbres, trois passages, trois mémoires
Trois présences plantées là comme autant de symboles, veilleurs d’un secret figé dans la roche, un secret que seule la patience peut révéler.
Le Cade: la mémoire transmise, éternelle et spirituelle
Un cade centenaire se tient là, massif, noueux, enraciné dans la terre comme une pensée ancienne. Il résiste au temps, au Cers, à la sécheresse. Il incarne la résistance du vivant, la mémoire enracinée. Il ne raconte rien à voix haute, mais sa présence suffit à dire qu’ici, le temps est dense, et les traces profondes.
Il est mémoire offerte. Il touche à l’éternité par ce qu’il transmet, son histoire qu'on a oublié, par sa fidélité immobile au lieu, par sa force invisible qui relie les vivants à ce qui les dépasse, le passé. Il prolonge en tant que témoin du passé ce qui fut, et prépare ce qui sera.
Le Cyprès: la mémoire du deuil
Plus loin, hauts et immobiles, les cyprès se dressent comme des gardiens silencieux, veillant sur le passage entre le monde ordinaire et celui de la mémoire. Leur seule présence impose le silence. Arbres de l’entre-deux, ils signalent l’entrée dans un espace de recueillement. Ici le passé est lourd.
Le Figuier: la mémoire nourricière
Plus souple, plus intime, le figuier offre son ombre et son parfum dense et mélancolique, comme un geste de bienvenue. Il ne garde pas, il accueille. À son pied, le paysage s’adoucit. C’est là, peut-être, que la mémoire devient présence, que le passé cesse d’être lourd pour devenir partage. Il est le souvenir vivant de ce qui fut aimé.
Une photographie dans la pénombre, comme présence persistante
Au-delà du figuier, en gravissant le mur, la lumière baisse, la roche se fait plus présente, presque oppressante. On entre dans la grotte comme on entre dans un souvenir, avec précaution, lenteur, respect, presque en retenant son souffle.
Et puis, soudain, elle est là.
Comme une présence échappée du temps, cette photographie semble défier l’oubli, attachée aux parois d’un monde minéral. Autour d’elle, les ombres dansent sous la lumière de la lampe, et les veines de la pierre murmurent peut-être une histoire que seul le souffle des profondeurs peut encore entendre.
Sur cette roche, dans l’ombre d’un lieu que le monde oublie, un visage demeure. Fixé là, en silence, il veille. Le sourire est doux, les traits empreints d’une force tranquille, celle de quelqu’un qu’on n’oublie pas.
La grotte n’est plus un simple abri mais un sanctuaire, un lieu de repli, de silence, de méditation. Elle abrite non seulement son image, mais aussi ce qu’elle évoque, une mémoire enfouie mais à jamais vivante, préservée du tumulte.
C’est un hommage discret, presque secret, posé dans la pierre vivante de la terre. L’éclat de la lampe le révèle, comme un souvenir qu’on effleure, comme une promesse que même l’obscurité ne peut effacer.
Ici, dans le silence, il continue d’exister, dans la mémoire, dans le cœur, dans la pierre.
Revenir
Toucher sa présence, écouter encore
J’y reviendrai, dans ces lieux qu’il a tant aimés. Pour suivre ses pas, pour retrouver son regard, celui qui écoutait le paysage. Revenir, ce sera toucher sa présence, là où le silence murmure encore son nom. Et, à l’ombre du figuier, dans la pénombre d’une grotte, sentir qu’il est encore là. Pour moi.
Ma Clape | Mai 2025